"Perfect Days" : Wim Wenders sur les traces d’Ozu à Cannes
Jeudi après-midi, le cinéaste allemand a heureusement surpris en Compétition du 76e Festival de Cannes avec “Pefect Days”, sublime portrait d’un homme en quête de bonheur, tourné au Japon. Une seconde Palme potentielle pour Wenders…
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/5fe4e627-8f76-40cd-8b84-1471638c0a7a.png)
Publié le 25-05-2023 à 18h05 - Mis à jour le 25-05-2023 à 18h08
:focal(1435x1085:1445x1075)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TJXJ7UROEJCDTHPLUP44GKD3WA.jpg)
Avec Hirokazu Kore-eda, Nuri Bilge Ceylan et Nanni Moretti, Wim Wenders fait partie des cinéastes en lice en Compétition à Cannes cette année pour une seconde Palme d’or. Près de 40 ans après Paris, Texas, primé en 1984, le cinéaste allemand présentait, jeudi après-midi, son nouveau film, Perfect Days. L’occasion pour lui de retrouver le Japon, 38 ans après son documentaire Tokyo-Ga. Et, surtout, 60 ans après Le Goût du saké, le dernier film de Yasujirō Ozu en 1962, dont il s’est inspiré et dont le héros a le même nom : Hirayama…
La recherche de la beauté
Chez Wenders, Hirayama n’est pas veuf, ni père de famille. Ou plutôt, on ne sait rien de son passé. Quand on le rencontre, il se réveille dans son petit appartement miteux. Il se brosse les dents, met son bleu de travail, arrose ses bonzaïs, sort de chez lui en regardant le ciel, le sourire aux lèvres. Avant de se mettre au volant de son van bleu, insérant une vieille cassette dans l’auto-radio, pour se rendre au travail…
Sexagénaire solitaire, Hirayama est responsable de l’entretien des toilettes publiques du quartier de Shibuya à Tokyo. Travail qu’il accomplit avec une grande méticulosité, contrairement à son jeune collègue, aussi bavard qu’Hirayama est taiseux. À midi, le vieil homme s’assied sur un banc dans un square, pour manger son déjeuner et prendre son arbre favori en photo. Après le boulot, Hirayama va se laver aux bains publics, manger un bout… Le soir, il lit Faulkner avant de s’endormir. Demain, la routine recommencera. Ou pas…
Au son des standards anglo-saxons
On n’attendait plus vraiment grand-chose de Wim Wenders qui, ces dernières années, s’était perdu dans des fictions en 3D confuses (Every Thing Will Be Fine en 2015) ou expérimentales (Les Beaux Jours d’Aranjuez en 2017). Il semblait plus intéressé par le documentaire, que ce soit sur la chorégraphe Pina Bausch, le photographe Sebastião Salgado (Le Sel de la Terre), Le Pape François : Un homme de parole ou le peintre Anselm Kiefer dans Le Bruit du temps, qu’il présentait aussi cette année à Cannes, hors Compétition.
Avec Perfect Days, Wenders revient à un cinéma totalement épuré, sans artifices. Sur fond de standards anglo-saxons – de Patti Smith à Van Morrison, en passant par Nina Simone ou évidemment le Velvet Underground, dont le tube Perfect Day inspire son titre au film –, il dresse le sublime portrait d’un homme en quête de bonheur.
Pour camper ce personnage mélancolique, souriant à la vie tout en songeant à un passé qu’on imagine marqué par une tragédie – dont on ne perçoit que quelques bribes, via les flash-backs fugaces en noir et blanc qui rythment les nuits d’Hirayama –, Wim Wenders a fait appel au grand acteur japonais Kōji Yakusho, vu chez Kiyoshi Kurosawa (dans Tokyo Sonata en 2008), Takashi Miike (13 Assassins en 2010) ou Kore-eda (The Third Murder en 2017). Quasi mutique durant tout le film, le comédien porte sur son visage, dans ses regards, ses sourires, toute la bonté, toute l’humanité d’un homme qui tente de se reconstruire en embrassant une vie simple, à la recherche de la beauté du quotidien, d’une ombre qui danse sur un mur, de la lumière du soleil qui scintille dans les branches…
Un film analogique
On nous faisant vivre quelques jours de la vie d’un homme heureux, qui a choisi de vivre au présent, Wenders éblouit par son économie de moyens, tout en parvenant à évoquer en nous des sentiments forts, à commencer par la mélancolie. Perfect Days interroge en effet avec une délicatesse et une profondeur infinies le temps qui passe, la difficulté de s’adapter au changement… Ce qui passe notamment par cette magnifique utilisation de la musique, qu’Hirayama continue d’écouter sur de vieilles cassettes audio qui intriguent les plus jeunes qui l’entourent, séduits par ce son analogique, comme surgit d’un autre temps, d’un autre monde…
En début de festival, Ruben Östlund avait dit que la prochaine palme d’or irait peut-être à un film à l’opposé de son clinquant Sans filtre, qui avait su imposer son cynisme l’année dernière. Le président du jury suédois l’a peut-être trouvé avec ce Perfect Days, film de la maturité et de l’apaisement pour Wenders qui, en s’inspirant d’Ozu, a su se réinventer pour signer, à 77 ans, l’un de ses plus grands films.
Perfect Days Drame De Wim Wenders Scénario Wim Wenders et Takuma Takasaki Photographie Franz Lustig Montage Toni Froschhammer Avec Kōji Yakusho, Min Tanaka, Tokio Emoto… Durée 2h03
