“L’Abbé Pierre”, une vie de saint sur la Croisette
Présenté ce vendredi soir hors Compétition, en toute fin du 76e Festival de Cannes, le biopic attendu de l’abbé Pierre se fait… très attendu. Malgré la prestation de Benjamin Lavernhe, mimétique.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/5fe4e627-8f76-40cd-8b84-1471638c0a7a.png)
Publié le 26-05-2023 à 23h50
:focal(1829x1226.5:1839x1216.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DWVVJIDIHVDADAFCNLWGU2GD3I.jpg)
“Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides, et qui, ayant tout, disent avec une bonne figure, une bonne conscience : ‘Nous qui avons tout, on est pour la paix !’ Je sais ce que je dois leur crier à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs de toute violence, c’est vous ! Et quand le soir, dans vos belles maisons, vous allez embrasser vos petits-enfants, avec votre bonne conscience, au regard de Dieu, vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients, que n’en aura jamais le désespéré qui a pris les armes pour essayer de sortir de son désespoir”, hurlait l’abbé Pierre en 1984 dans un discours qui résonne, malheureusement, toujours autant aujourd’hui…
On l’a peut-être un peu oublié, mais derrière l’image d’homme d’Église charitable, compagnon des plus pauvres, l’abbé Pierre était un homme de convictions et de combats. C’est à cette Vie de combats que rend hommage, dignement mais sans surprise, L’Abbé Pierre de Frédéric Tellier, dévoilé ce vendredi soir au Grand Théâtre Lumière de Cannes, où le film était présenté hors Compétition
L’annonce d’une biographie de l’abbé Pierre – qui fut durant de nombreuses années la personnalité préférée des Français -, laissait quelque peu dubitatif. Comment sortir du portrait convenu d’un homme au parcours exemplaire, qui dédia sa vie entière aux autres ? Frédéric Tellier n’évite malheureusement pas cet écueil…

Un biopic trop classique
Un peu à la manière du récent Simone : Le Voyage du siècle d’Olivier Dahan, consacré à Simone Veil, L’Abbé Pierre est un biopic trop classique qui, au lieu de choisir un vrai point de vue sur son personnage, nous raconte toute l’existence de l’abbé, ou presque. Le film s’ouvre ainsi sur son renvoi du couvent des Capucins de Crest en 1937 – où ce fils de grands bourgeois lyonnais était jugé trop fragile pour une vie d’ascèse… Et se clôt sur sa mort le 22 janvier 2007, à l’âge de 94 ans. Et, il faut bien le dire, le film ne nous en apprend pas beaucoup plus que la page Wikipedia du mythe (analysé comme tel par Roland Barthes)…
Si le film patauge au début, dans une évocation assez maladroite du passé de résistant d’Henri Grouès – abbé Pierre est le nom qu’il s’était choisi comme résistant – et de sa carrière politique à l’Assemblée nationale, il se réveille au moment de l’évocation de l’Hiver 54 (déjà tracé dans le film homonyme avec Lambert Wilson en 1989). Quand le curé lance son célèbre appel sur les ondes de Radio Luxembourg : “Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… ”

Excellent Benjamin Lavernhe
Malgré le manque d’ambition en termes de mise en scène de Frédéric Tellier – dont on avait pu voir l’année dernière Goliath, thriller à thèse sur le scandale du glyphosate -, L’Abbé Pierre reste néanmoins un hommage digne au grand homme et à son combat contre la misère et pour la fraternité (la grande oubliée de la devise républicaine française) qui se poursuit après sa mort. Reconnue d’utilité publique en 1992, la Fondation Abbé Pierre continue en effet la lutte contre le mal logement, qui touche désormais quelque 4 millions de Français…
Au-delà de cette dignité, le film est surtout porté par la prestation de Benjamin Lavernhe. Omniprésent au cinéma en ce moment (du Discours au Sixième enfant, en passant par De grandes espérances et Jeanne du Barry, qui avait ouvert le festival le 16 mai dernier), le pensionnaire de la Comédie-Française est assez bluffant, à la fois dans le mimétisme (travaillant notamment à retrouver la voix chevrotante si particulière de l’abbé), mais avec toujours une liberté et une fraîcheur, voire un brin d’ironie.
“C’est écrasant, intimidant, car on se sent une grande responsabilité. C’est presque un saint. Comment atteindre sa complexité, son génie d’humanité ? Alors, on l’approche. On essaye de le comprendre et de servir son message. Je ne serai jamais l’abbé Pierre, mais je peux me faire le passeur de ses mots. Au final, on parle assez peu de l’Église catholique, même s’il était prêtre. Ce n’est pas un film sur la religion, mais sur sa cause. Emmaüs fait toujours un travail extraordinaire, avec plus de 300 communautés actives dans le monde entier. C’est une responsabilité écrasante, mais galvanisante”, nous confiait le comédien en octobre dernier, visiblement habité par ce rôle.

L’Abbé Pierre : une vie de combats Biopic De Frédéric Tellier Scénario Olivier Gorce et Frédéric Tellier Photographie Renaud Chassaing Musique Bryce Dressner Montage Valérie Deseine Avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz, Xavier Mathieu… Durée 2h20
