Justine Triet, Palme d’or pour “Anatomie d’une chute” : “La fiction est très intéressante pour se cacher”
Ce samedi soir, la cinéaste française s’est imposée à l’issue du 76e Festival du film de Cannes avec un thriller magistral, qui dissèque un couple en crise. Un grand film, porté par la formidable Sandra Hüller.
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- Publié le 28-05-2023 à 10h27
- Mis à jour le 07-06-2023 à 10h48
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Avec Anatomie d’une chute, qui a reçu, samedi soir, la Palme d’or du 76e Festival de Cannes, Justine Triet signe un thriller magistral. Retraçant le procès de Sandra Voyter, une romancière allemande accusée du meurtre de son mari dans leur chalet des Alpes, la cinéaste française aborde évidemment la question de la vérité judiciaire. Mais c’est autre chose qui est ici à l’œuvre : Triet creuse en effet au plus profond de l’intimité d’un couple. “Ce qui m’a abord intéressée, c’est de parler du couple, de la question de vivre ensemble. Qu’est-ce qu’on se doit dans un couple ? Qu’est-ce qu’on se donne ? La question de la réciprocité, la question du commerce amoureux. Ça, c’était vraiment le cœur du film, nous expliquait Justine Triet mardi dernier. Je voulais montrer un couple où ça ne se passe plus très bien visiblement. Mais peut-être qu’il reste encore un peu d’amour, parce qu’ils se disent quand même encore des choses vraiment, franchement. Cette franchise est quelque chose d’assez beau… Et puis évidemment, il y a le regard d’un enfant sur sa mère. Qui se demande qui est cette femme, qui sont ses parents. D’où je viens ? Est-ce que je dois la croire ou pas ? Puisque, derrière, il y a évidemment tout le côté thriller…”

Une grande actrice : Sandra Hüller
Pour camper cette femme froide, qui semble avoir dévoué sa vie entière à sa carrière littéraire, Justine Triet a fait appel à Sandra Hüller. Révélée à Cannes en 2016 par Maren Ade dans la comédie Toni Erdmann, l’actrice allemande était également à l’affiche cette année de The Zone of Interest du Britannique Jonathan Glazer, qui a quant à lui remporté le Grand Prix du jury. Beau doublé pour Hüller, formidable dans les deux cas et dans des rôles très différents. “J’avais déjà travaillé avec elle, mais vraiment très peu, sur mon film précédent, Sibyl (avec Virginie Efira en 2019, NdlR). Je l’avais adorée. J’avais très, très envie de retravailler avec elle. Elle amène quelque chose de tellement authentique, de tellement fort. C’est quelqu’un qui n’est pas dans la fascination de la célébrité, du cinéma ; elle s’en fout complètement. C’est vraiment une actrice de théâtre à la base, qui appartient à cette tradition en Allemagne d’acteurs et d’actrices qui aiment le théâtre. Le théâtre, c’est sa routine. Elle a donc une manière de travailler très particulière. Tout passe par le corps chez elle. C’est très différent. Ça a été vraiment génial de bosser avec elle. J’ai dû vraiment apprendre à travailler autrement avec elle”, explique la cinéaste française.

Le jeu de l’autofiction
Dans SIbyl, Justine Triet mettait déjà en scène une écrivaine en proie à une crise. Ce n’est pas vraiment un hasard, plutôt une forme de pudeur… “Je pense que, comme je n’ose pas mettre un réalisateur, je mets un écrivain… Mais ce sont quand même toujours des projections de moi. Je viens habiter le corps des gens”, avoue la Française, qui assume totalement la dimension biographique de ses films.
Coécrit avec son compagnon Arthur Harrari (réalisateur du formidable Onoda – 10 000 nuits dans la jungle en 2021), Anatomie d’une chute s’ouvre d’ailleurs sur une interview de Sandra Voyter, où il est question d’autofiction. “Le début du film, c’est une jeune étudiante qui lui demande si l’accident du fils dans son roman est inspiré de sa propre vie. Il y a tout un dialogue où elle essaye de se défendre de cela, en disant : oui, évidemment qu’il y a des choses qui viennent de ma vie, mais c’est de la fiction. La fiction est très intéressante pour se cacher. J’ai toujours adoré la fiction, car c’est un merveilleux endroit où se cacher, estime Justine Trier. Forcément, il y a beaucoup de moi dans le film. Après, ce n’est pas ma vie. Mon amoureux est encore en vie, heureusement. Et il a écrit autant que moi la partition de Sandra. Il n’écrivait pas l’homme et moi la femme ; c’est beaucoup plus mélangé. C’est très joyeux, aussi, de partager ça avec quelqu’un avec qui l’on vit. Après, c’est compliqué, parce que ce n’est pas un scénariste, mais un réalisateur. Je ne sais pas si on ne refera. Probablement pas…”
