Avec “Origin”, la 80e Mostra de Venise tient un potentiel Lion d’or
Ce mercredi soir, l’Américaine Ava DeVernay a épaté, en Compétition sur le Lido, avec un film qui dépasse la question du racisme par la notion de castes.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/5fe4e627-8f76-40cd-8b84-1471638c0a7a.png)
- Publié le 06-09-2023 à 19h30
- Mis à jour le 06-09-2023 à 19h58
:focal(3605x850:3615x840)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FRW4QORYJBBHZFJ7VJQW5IXK3M.jpg)
Les yeux étaient humides, mercredi soir, à la sortie de la première d’Origin, dévoilé en Compétition du 80e Festival de Venise… Dans ce film éblouissant, Ava DuVernay propose une adaptation fascinante de Caste : The Origin of Our Discontents, livre publié en 2020 par l’autrice afro-américaine Isabel Wilkerson.
Au cœur du travail de réflexion
Après la mort de son mari, un brillant mathématicien blanc (Jon Bernthal), et de sa vieille mère, Isabel Wilkerson (Aunjanue Ellis) se replonge dans le travail et repense à l’affaire Trayvon Martin, abattu en pleine rue par George Zimmerman, le 26 février 2012, dans une riche communauté fermée. Ce jeune homme de 17 ans sans histoire avait le malheur d’être noir, de porter un sweat à capuche et de se promener, de nuit, dans un quartier blanc…
Wilkerson sent qu’il y a, derrière ce fait divers, autre chose que du simple racisme, fût-il systémique. Alors que les manifestations néo-nazies et autres marches aux flambeaux se multiplient aux États-Unis, l’autrice commence à réfléchir à d’autres formes de connexions pour comprendre ce meurtre.
Pourquoi Trayvon Martin a-t-il été tué par un Latino ? Pourquoi les Nazis ont-ils cherché à éliminer les Juifs, blancs comme eux ? Pourquoi les Indiens perpétuent-ils un système de castes, en considérant les Dalits, qu’on appelait auparavant les Intouchables, comme des êtres inférieurs, juste bon à nettoyer leurs excréments à mains nues, alors qu’ils leur ressemblent en tout point ? Existe-t-il un lien avec l’esclavage et la ségrégation, qui persiste toujours sous une certaine forme, aux États-Unis ? Quand, lors de recherches à Berlin, Wilkerson découvre que, pour établir leurs lois antijuives, les Nazis ont étudié les lois Jim Crow qui ont imposé la Ségrégation dans les États sudistes de 1877 à 1964, elle sent qu’elle tient quelque chose…

Quand l’émotion prend le dessus
Depuis ses débuts, Ava DuVernay a fait du racisme la question centrale de son œuvre. Que ce soit dans Selma en 2014, où elle revenait sur le combat du jeune Martin Luther King pour les droits civiques dans l’Amérique des années 1960. Dans sa série Netflix Dans leur regard en 2019. Ou encore dans Le 13e (en référence au 13e amendement de la Constitution américaine qui a interdit l’esclavage), un documentaire qui interrogeait le lien entre la couleur de peau et le taux d’incarcération dans les prisons américaines. En découvrant le livre d’Isabel Wilkerson, DuVernay élargit le spectre de sa réflexion, pour dépasser le racisme, qui ne permet pas de saisir pleinement les effets de système…
Pas facile de rendre à l’écran un tel travail de recherches, mené sur trois continents différents et où se mêlent passé et présent. Grâce à une mise en scène limpide, un usage harmonieux des flash-backs, DuVernay confère une dimension purement cinématographique à la réflexion d’Isabel Wilkerson. Mieux, elle parvient à dépasser le questionnement théorique en laissant place à l’émotion. Non seulement à travers le parcours personnel de son héroïne (où elle force malheureusement un peu le trait), mais surtout en parvenant à rendre sensible, dans une scène d’une incroyable violence psychologique, tout ce qu’elle vient de nous expliquer pendant près de deux heures…
Porté par l’excellente Aunjanue Ellis (vue dans la série Locecraft Country ou dans le film La Méthode Williams), Origin a fait une sacrée impression sur le Lido. Il fait en effet partie des favoris pour le Lion d’or…
Origin Drame Scénario et réalisation Ava DeVernay (d’après The Origins of Our Discontents d’Isabel Wilkerson) Photographie Matthew J. Lloyd Musique Kris Bowers Avec Aunjanue Ellis, Vera Farmiga, Jon Bernthal… Durée 2h15