Drame au Reine Elisabeth avec Dominique Deruddere : “Il ne faut jamais faire un film pour l’argent”
Le réalisateur flamand, naguère nommé à l’oscar, revient avec un drame se déroulant en marge du Concours Reine Élisabeth.
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Publié le 07-02-2023 à 11h56 - Mis à jour le 07-02-2023 à 12h11
À 65 ans, Dominique Deruddere demeure un homme affable malgré un parcours qui l’a emmené de Turnhout à Hollywood. Il nous accueille sans prétention dans une suite du Domenican, à Bruxelles. Second assistant réalisateur de Hugo Claus sur le film Vrijdag (1981), puis scénariste pour le film Brussels by Night (1983) de Marc Didden, il signe en 1987 Crazy Love, inspiré d’un recueil de poèmes de Charles Bukowski. Son deuxième film, Wait Until Spring, Bandini (1989), adapte John Fante et réunit à l’écran Joe Mantegna, Ornella Muti et Faye Dunaway. En 2001, Iedereen beroemd !, satire des concours de chant télévisuels, est nommé à l’oscar du meilleur film en langue étrangère. Le réalisateur avait, depuis, un peu perdu de sa verve, s’égarant dans l’un ou l’autre projet comme Pour le plaisir (2004), qui fut plutôt une galère à l’en croire. Aujourd’hui, avec The Chapel, le Belge revient au pays et nous emmène dans les coulisses du Concours Reine Élisabeth où il scrute un drame intime comme Hollywood met en scène un thriller.
Pourquoi avoir choisi le Concours Reine Élisabeth comme élément de scénario ?
C’est un peu un hasard. Dans les années 90, j’ai travaillé avec l’écrivain français, Erik Orsenna, sur un scénario qui n’a pas abouti. C’était au mois de mai : pour nous relaxer, nous regardions le Concours Reine Élisabeth. Erik m'a dit : “C’est quand même formidable, ces gens enfermés pendant plusieurs jours. Il y a une matière pour un film. Pourquoi ne faites-vous pas quelque chose là-dessus, en Belgique ?” J’ai pensé qu’il avait raison, mais je ne trouvais pas la bonne idée. La première qui vient, c’est celle d’un meurtre dans ce huis clos. Mais on a déjà vu ça. Vingt ans plus tard, mon fils se met à apprendre le piano. Avec beaucoup d’enthousiasme. Il travaille jusqu’à sept heures par jour et cherche le ton parfait. De cette obsession est né le sujet du film.
On retrouve des traces du thriller dans “The Chapel”. Est-ce un plaisir de metteur en scène d’en utiliser les codes ?
Oui, ça, c’est un plaisir. Mais je dirais que c’est plutôt un drame psychologique avec des éléments de suspense. Vous avez raison, il y a beaucoup de tension. C’est voulu et c’était très amusant et intéressant de jouer avec cet aspect-là. Mais le suspense naît de la psychologie des gens plutôt que des choses effrayantes qui l’entourent. Ce sont tous des musiciens, Ils ont tous le même rêve, mais un mot ou un quelque chose qui ne va pas dans la bonne direction peut avoir des conséquences néfastes.
Votre personnage principal poursuit une quête de la perfection. Est-ce un élément qui vous renvoie à votre travail de metteur en scène ?
Oui, absolument. Mais il y a aussi cette question : qu’est-ce que le talent ? C’est ça qui m’intéresse. Est-ce une bénédiction ou une malédiction ? Quand on regarde l’histoire de la musique, la peinture, dans beaucoup de domaines de l’art, il y a des personnes très talentueuses qui ont été très, très malheureuses, qui se sont suicidées, qui ont pris de la drogue… Donc le talent, cela sert à quoi ? Cela mène où ? Une fois qu’on est arrivé au top, que fait-on ? Et c'est quoi le top.
Avez-vous fait beaucoup de recherches sur le Concours Élisabeth ?
C’est une œuvre de fiction, mais j’ai quand même fait beaucoup de recherches. J’ai lu des livres, j’ai vu des documentaires. Il y en a un reportage de l’émission “Strip-Tease” ("Les larmes de Ludovic", NdlR) très intéressant. Il y a aussi un documentaire sur YouTube qui s’appelle Les Lauréats (de Paul Cohen, 1997, NdlR), un documentaire passionnant sur ce que deviennent les lauréats du Concours. Dans mon film, tous les dialogues sur la musique, ce sont des propos de musiciens, que j’ai lus. Je trouvais important que ce qui a trait à la musique soit authentique.
Votre fils, qui a étudié le piano, est aussi le monteur de votre film. Voyez-vous une analogie entre la composition de la musique et le montage ?
Ah oui, oui. C’est une des raisons pour laquelle je l’ai choisi. On a habité Los Angeles. Après, il a arrêté le piano et il s’est mis au montage cinéma. J’ai vu un petit film qu’il a tourné avec des copains qui était vraiment bien monté. Je l’ai utilisé d’abord comme monteur sur un documentaire sur Arno. Et là, ça marchait vraiment bien parce qu’il est aussi musicien. The Chapel parle de la musique, ça parle de sa passion à lui le piano. C’était le monteur tout indiqué pour ce film.
Quel est votre rapport à la musique ? Vous avez fait ce un documentaire sur Arno. “Iedereen Beroemd !” se déroulait dans le contexte d’un concours type The Voice. C’est un univers qui semble vous fasciner.
C’est très important pour moi. Je suis un musicien frustré ! Je voulais jouer du piano quand j’étais jeune. Mais mes parents n’ont pas voulu. Je suis le plus jeune de la famille et mes frères avaient essayé et ils ont tous abandonné. Il y a une frustration qui est restée, même si ce n’est pas le sujet du film. C’est peut-être aussi une des raisons pour laquelle ce film existe.
On parle ici du Concours Reine Elisabeth. Vous avez été un jour nommé aux oscars. Quel est votre rapport à la compétition ? C’est important d’avoir des prix, pour vous ?
J’étais très fier d’être nommé aux oscars, oui. Mais, si on y réfléchit, ce n’est pas bien de mettre tout en compétition. Ce n’est pas quelque chose qui nourrit l’art ou qui nourrit même l’esprit d’ailleurs. C’est pour le business qu’on fait ces prix et je comprends que ça existe. Personnellement, je ne trouve ça pas très intéressant.
Vous avez été en Belgique un pionnier par rapport à ça. Vous avez ouvert une voie, notamment dans le cinéma flamand. D’autres vous ont suivi : Felix Van Groeningen, Michael Roskam, Lukas Dhont,… Vous ont-ils demandé conseil ?
Je connais Felix assez bien, mais je n’aime pas parler de ça. Quand on se voit, on parle de la famille, de la vie. J’ai écrit un livre autobiographique sur mon parcours, où je raconte les films que j’ai faits, mais surtout ceux que je n’ai pas faits ! Je pense que ça peut servir aux générations qui suivent afin de ne pas commettre les mêmes erreurs que moi, pour connaître les pièges. Peut-être que d’autres pourront profiter de mes erreurs.
Quelle est la principale erreur à ne pas commettre ?
Il ne faut jamais faire un film pour l’argent. J’en ai fait un, qui s’intitule Pour le plaisir. J’avais vraiment besoin d’argent. En France, c’est plus facile de financer un film qu’en Amérique, il me semble. Le budget a été bouclé alors que je voulais encore travailler le scénario. La productrice m’a dit “Dominique, on est prêt, on va tourner. Le scénario, on s’en fout…” Je trouvais ça très dingue de tourner un film dont je trouvais que le scénario n’était pas abouti ! Il vaut toujours mieux suivre son instinct et rester honnête avec soi.
Jaco Van Dormael a dit de "The Chapel" que c'est “un pur Deruddere”. C’est quoi un pur Deruddere ?
Je ne sais pas ! Jaco aime vraiment beaucoup le film, c’est vrai. C’est quelqu’un d’émotionnel. Je pense que c’est quelque chose qui nous lie. C’est un film qui vous touche au cœur, pas au cérébral. On n’est pas dans l’analytique, mais dans l’instinct. Je suis comme ça et lui aussi, je crois.