"Sur les chemins noirs" : Jean Dujardin sur les traces de Sylvain Tesson
L’acteur incarne un alter ego de l’écrivain dans cette adaptation.
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Publié le 21-03-2023 à 14h48
Après une chute accidentelle, aussi grave que stupide, Pierre, écrivain à succès, décide d’effectuer une randonnée en solitaire, la traversée de la France dans toute sa diagonale du sud-est au nord-ouest, en suivant uniquement les chemins noirs indiqués sur les cartes IGN. L’entreprise est déconseillée par tous, à commencer ses médecins : les jambes et le dos de Pierre ont été brisés. Il s’agit, pour lui, de se réapproprier son corps et de retrouver cette liberté qui lui est chère, loin des villes et de la modernité.
Sur ces “chemins à la praticabilité aléatoire” (selon la légende des cartes IGN au vingt-cinq millième), Pierre se remémore les causes de son accident, fait quelques rencontres, retrouve un ami fidèle ou sa sœur. Il médite, aussi, sur cette impulsion qui le pousse vers les dernières contrées sauvages et sur la manière dont l’espèce humaine et son “âge du flux” tentent de soumettre la nature.
Sylvain Tesson deviendrait-il bankable au cinéma ? Après le remarquable La Panthère des Neiges, Denis Imbert s’approprie son récit de convalescence Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016), conséquence de sa chute en 2014 de la toiture d’un chalet à Chamonix (Haute-Savoie). Fracturé et réveillé du coma, Tesson a traversé la France du Mercantour au Cotentin. “Physiquement, physiologiquement et moralement, la marche m’a soigné” dit Tesson.
Sans doute parce qu’on n’imagine pas d’emblée Jean Dujardin en alter ego de l’aventurier écrivain, le réalisateur et son coscénariste Diastème ont rebaptisé le personnage Pierre – ce qui autorise les libertés. Les connaisseurs de l’œuvre de Tesson n’auront toutefois aucune peine à reconnaître l’auteur.
Résumant 1300 kilomètres de marche sur les chemins de traverse à 1 h 33 à l’écran, Denis Imbert n’en réussit pas moins à transmettre ce sentiment de transe que les randonneurs au long cours connaissent ainsi que la peur de la perte du contrôle du corps et l’acharnement à le retrouver. Il reflète cette “critique en mouvement de notre modernité modernisée” produite par l’écrivain.
C’est beaucoup et, pourtant, Sur les chemins noirs y parvient. On peut sourire, par instants, quand on entend Dujardin méditer sur Alexis de Tocqueville, Henry David Thoreau et Walt Whitman ou prôner le retour à “la liberté de détails”, cher au premier, ou “la création continue d’imprévisible nouveauté” théorisée par Henri Bergson.
Le film trouve ses instants de grâce : l’observation en filigrane de la France “morcelée” (ni fracturée, ni uniforme), l’extase de la souffrance physique (et la jouissance quand l’effort s’arrête), la rencontre du jeune marcheur Dylan, le résumé d’un demi-siècle de mutations rurales par un vieil agriculteur… Pas besoin de grands discours, quelques petites phrases suffisent.
Revers de la médaille : Sur les chemins noirs pourra donner une furieuse envie de saisir son sac et de prendre à son tour la tangente sur cette diagonale – au risque de les transformer en autoroutes pédestres.
Sur les chemins noirs De Denis Imbert Scénario : Denis Imbert et Diastème, d’après le récit de Sylvain Tesson Avec Jean Dujardin, Joséphine Japy, Jonathan Zaccaï, Dylan Robert… 1 h 33