"Beau is Afraid" : Ari Aster ("Midsommar") plonge Joaquin Phoenix dans un cauchemar éveillé

Le troisième long métrage du réalisateur de “Midsomar” est une odyssée cathartique. D’abord flamboyant, il s’égare dans sa troisième (longue) partie.

Joachin Phoenix se métamorphose à nouveau dans "Beau is Afraid" d'Ari Aster.
Un périple pas de tout repos pour Beau (Joachin Phoenix). ©A24

Au début, on ne voit qu’un écran noir et on entend des cris étouffés avant qu’émergent des silhouettes floues. Les cris et les sons sont de plus en plus envahissants, agressifs. Beau is afraid, troisième film d’Ari Aster, s’ouvre sur un cri primal. Quelque quarante ans plus trad, le bébé devenu grand et Beau (Joaquin Phoenix) est chez son psy. Inadapté, atteint d'agoraphobie, il entre en PLS quand il doit se rendre à l’anniversaire de sa mère Mona (Patti LuPone).

Sur le chemin du retour, des échappés d’asile se trucident. La ville semble livrée proie au chaos le plus violent. Ou s’agit-il d’une projection des traumas de Beau ? Un enchaînement de circonstances lui fait rater son avion. Culpabilisé par une ultime péripétie, Beau s’engage dans un périple qui prend les tours et les détours d’une odyssée picaresque parsemée de rencontres étranges et de visions cathartiques. Réalité ou cauchemar éveillé ? Beau plonge aux tréfonds de son âme tourmentée par le complexe d’Œdipe.

guillement

Mon prochain (film) sera soit une comédie cauchemardesque, soit un gros mélodrame domestique maladif.

”Mon prochain (film) sera soit une comédie cauchemardesque, soit un gros mélodrame domestique maladif” avait annoncé Ari Aster. Le réalisateur n’a pas transigé : il a combiné les deux. Depuis son premier film, Hérédité, l’auteur du déjà culte Midsommar affectionne le cinéma de genre pour traiter plus profondément des traumas : rapport à la mère dans le premier, deuil dans le deuxième, toujours sur fond de culpabilité.

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Lynch et Gondry

Trilogie ? Beau is Afraid rassemble ces thèmes mais délaisse les oripeaux de l’horreur. C’est parfois effrayant, tantôt drôle, tantôt féroce. Parfaitement maîtrisé, aussi labyrinthique du Lynch sur la narration, parfois malaisant comme du Cronenberg, parfois poétique et inspité comme du Gondry (la séquence du conte théatrale), Beau is Afraid est une authentique œuvre de cinéma : un objet narratif et formel à la fois, pensé pour le grand écran, pour la salle obscure, propice aux rêves et aux cauchemars éveillés.

Si le ton est différemment, on est tenté, aussi, de rapprocher Beau is Afraid du récent Everything Everywhere All At Once dont il partage les méandres tortueux. Ces deux récits métaphoriques de traumas et thérapies familiaux énaurmes sont produits par A24, la boîte indé hollywoodienne, dernier refuge des auteurs de prestige.

Notre critique de "Everything Everywhere All at Once"

Longueurs et lourdeurs

Le petit hic, qui n’enlève rien aux qualités précitées, est le même pour les deux œuvres. Leur auteur succombe à la course à l’échalote hollywoodienne : la surenchère à celui qui en mettra le plus plein la vue. Blockbusters ou auteurs, super-héros ou barjots, même combat.

Péché véniel qu’on pardonnerait si le résultat de la descente aux enfers de Beau débouchait sur quelque épiphanie. Everything Everywhere… était trop long d’une demi-heure mais offrait avant ce terme une fin parfaite (la scène “des rochers”, leçon de lâcher prise). Aster, lui, succombe à la facilité de symboles freudiens prémâchés, voire éculés. Ils surchargent la fin du film.

Heureusement, Joaquin Phoenix ne baisse jamais la garde. Habitué aux rôles des gars pas bien dans leur tête, adepte du transformisme, l’acteur livre une nouvelle composition de haut vol parmi un casting riche en figures familières (Patti LuPone, Amy Ryan, Nathan Lane, Parker Posey, Stephen Henderson, Richard Kind ou, même, Denis Ménochet…). Beau, à bien des égards, est un cousin soft mais tout aussi borderline qu’Arthur Fleck, le Joker de Todd Phillips, lui aussi hanté par une relation maternelle toxique. Un film, à bien y regarder, qui se jouait déjà dans la tête du protagoniste. Quelle plus belle mise en abyme pour acteur que d’incarner un type qui se fait des films ?

Beau is Afraid Cauchemar éveillé De et écrit par Ari Aster. Avec Joaquin Phoenix, Patti LuPone, Amy Ryan, Nathan Lane, Parker Posey,… 2h59

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