”Disco Boy” : un légionnaire qui sent bon le sang chaud sur un air de Vitalic
Ce premier long métrage de Giacomo Abbruzzese a reçu l’Ours d’argent à la Berlinale 2023 pour sa “contribution artistique exceptionnelle”.
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Publié le 23-05-2023 à 16h00
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Le Disco Boy de Giacomo Abbruzzese est un soldat de la Légion étrangère. Ce légionnaire ne sent pas bon le sable chaud, comme celui de Gainsbourg. Mais il chante au pas, a le sang bouillonnant et danse sur les rythmes techno de Vitalic. L’Ours d’argent décerné à Disco Boy pour sa “contribution artistique exceptionnelle” lors de la Berlinale 2023, en février, est amplement mérité pour cette œuvre qu’on aurait bien vue au sommet du palmarès.
Ailleurs
Dès les premières images, Giacomo Abbruzzese et sa directrice de la photographie Hélène Louvart nous emmènent dans un ailleurs. Des corps africains sont entassés dans une case au milieu de la jungle. Un lent travelling s’achève par un gros plan sur les yeux vairons d’une femme (l’artiste afro-punk Laetitia Ky). Ce regard vrille le nôtre, captif dès les premières images du film.
Changement de décor et d’ambiance avec les chants des supporteurs d’un club de foot biélorusse dans un car. Ils passent la frontière de la Pologne, donc de l’Union européenne. Aleksei (l’Allemand Franz Rogowski, vu dans Ondine de Christian Petzold) et son ami Mikhael prennent la tangente au premier arrêt. Leur objectif : rejoindre la France – pour y faire fortune et, surtout, espèrent-ils, la fête.
Le périple tourne mal. Et voilà Aleksei dans les rangs de la Légion étrangère – sésame pour un passeport après cinq ans de bons et loyaux services. Le destin d'Aleksei croisera celui de Jomo (Morr Ndiaye), leader d’un mouvement de rébellion dans le delta du Niger, et de sa sœur Udoka (Laetitia Ky). Ils luttent contre les compagnies pétrolières qui ravagent leur région natale. La France envoie ses légionnaires sauver l’affaire.

Rythmique envoûtante
Cette coproduction franco-belgo-polonaise signée par un réalisateur italien avec en tête d’affiche un acteur allemand résume d’autant plus le cinéma européen d’aujourd’hui qu’elle brasse bien des thèmes qui le traversent : immigration, sans-papiers, guerre, écologie, postcolonialisme… Mais qu’on se méfie des apparences, comme son titre l’indique, Disco Boy est un film qui pulse sans pontifier. Il est traversé d’une rythmique aussi envoûtante, sinon transcendante, que la musique de Vitalic, pape électro qui en signe la partition.
Entamé sur un mode naturaliste, avec passage connu par la formation militaire d’Aleksei, Disco Boy bifurque vers une envoûtante plongée dans le réalisme magique. Nombre des meilleurs récits de guerre ont trouvé leur puissance évocatrice dans l’abstraction. Abbruzzese ne fait pas exception mais il résout habilement ce double défi : comment représenter sa violence sans la rendre explicite, comment incarner “'l’autre”, “l’ennemi” ?
La réponse du réalisateur est esthétique et puissante. On pourrait la qualifier d’artifice sauf que, précisément, le dispositif fusionne à l’image les deux antagonistes – Aleksei et Jomo. Deux hommes qui, en d’autres circonstances, auraient pu être frères – d’armes, de vie ou… de danse, induite par le titre. La transe qu’elle suscite devient le territoire de la rédemption et de l’expiation sous les voûtes d’une église transformée en boîte de nuit.
Sous une forme purement visuelle, sans sombrer dans l’abscons, Giacomo Abbruzzese réussit la prouesse de dire beaucoup de choses justes et pertinentes. Le réalisateur n’assène pourtant aucune leçon, aucun discours. Il n’oublie jamais le romanesque dans cette œuvre avant tout sensorielle, où images et son constituent la matière d’une vertigineuse réflexion.
Disco Boy De et écrit par Giacomo Abbruzzese. Avec Franz Rogowski, Morr Ndiaye, Laetitia Ky, Leon Lucev,… 1 h 31
