Vitalic, le Nigeria, les fantômes, la Légion étrangère : Giacomo Abbruzzese décrypte son film “Disco Boy”
Le premier film du réalisateur italien est le fruit d’un voyage de dix ans.
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Publié le 24-05-2023 à 10h00
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On se bousculait le 19 février, au lendemain de la projection de presse de Disco Boy à la Berlinale 2023. On ne savait pas encore que ce premier film de Giacomo Abbruzzese remporterait un Ours d’argent. Mais nous étions suffisamment nombreux à avoir été soufflés par ce voyage cinématographique digne des meilleurs films de Werner Herzog que pour nous presser à une mini-table ronde autour d’un réalisateur aux anges et de son interprète principal, le toujours étonnant Franz Rogowski, tout aussi ravi de l’intérêt suscité.
L’acteur allemand n’a pas ménagé sa peine pour entrer dans la peau de son personnage, suivant un entraînement physique avec l’ancien officier de la Légion étrangère (qui joue son propre rôle dans le film) : “C’était physiquement très épuisant. Mais il y avait beaucoup d’autres choses à préparer : apprendre des rudiments de russe et parler le français avec un accent russe. Il fallait se laisser entraîner vers des territoires inconnus, être ouvert à la vulnérabilité”, dit-il à propos de son personnage qui passe de la bête de guerre à l’homme en quête de rédemption. “C’est quelque chose qui grandit tout au long du tournage”.
À ses côtés, Giacomo Abbruzzese écoute attentivement, comme s’il entendait parler de son film pour la première fois. Abbruzzese a déjà 39 ans mais les dix de moins qu'il paraît collent à son statut d’auteur d’un premier film – comme si le temps s’était arrêté quand l’idée de Disco Boy lui est venue, en 2013 déjà : “J’ai fait la connaissance dans une discothèque française d’un danseur classique qui a été soldat. Il y a une connexion étroite entre le corps du danseur et celui du soldat, un sens de la chorégraphie chez les deux, qui m’est alors apparu : deux qualités, deux mondes apparemment contradictoires mais qui ont en commun l’effort extrême et la discipline physique.”

Alekseï est biélorusse. Y a-t-il une raison particulière ?
J’ai été invité par des dissidents biélorusses à présenter un de mes films du Fresnoy à Minsk. J’ai parlé avec des jeunes qui partaient à la Légion ou rêvaient d’y aller… C’était comme un voyage dans le temps. J’ai passé un peu de temps là-bas et j’ai été très fasciné. Il y a ce décalage entre les rêves qu’ils ont de l’Occident et la réalité, ou dans la façon dont ils rêvaient de l’Occident.
Votre film est comme une métaphore de la Légion étrangère ou de l’Europe : vous êtes Italien et vivez en France. Franz est Allemand et joue un Biélorusse. Le film est financé en partie en Belgique… Ce cosmopolitisme est-il un parti pris ?
C’est le fruit d’une histoire, la mienne, et de la longue genèse du film. Je viens d’un milieu populaire, en Italie, mais le fait d’avoir un passeport européen m’a donné des opportunités. Quand j’ai décidé de faire mon premier long métrage en France, je me suis bien sûr posé la question de savoir ce que je pourrais raconter qu’un cinéaste français ne pourrait pas voir, ou du moins pas comme moi. La Légion étrangère, qui est un lieu particulier d’assimilation m’a semblé intéressante. C’est en Israël et en Palestine, où j’ai travaillé pour la télévision, que tout s’est déclenché. La frontière entre la résistance et le terrorisme y est trouble. Cette ligne floue m’intéresse. Tous les choix du film ont été faits sans passeport : ce sont des rencontres ou des choix artistiques, avec parfois, d’heureux hasards. J’ai choisi Franz tout simplement parce que je pensais que c’était l’acteur idéal pour le rôle, peu importe qu’il soit allemand et joue un Biélorusse. D’ailleurs, tous les acteurs du film jouent dans une langue qu’ils ne parlent pas. Cela, c’est un parti pris du film.

Vous brassez plusieurs thématiques : la migration, la guerre, l’exploitation des ressources, le lien avec les morts… Quel est pour vous, le cœur du film ?
J’aime l’idée que chacun peut y trouver son sens. De ce point de vue, je l’espère universel. Pour moi, le film est un conte. On s'est éloigné du pur réalisme, pour se permettre cette liberté. J’aime vraiment penser [à Disco Boy] comme à une peinture et pas seulement comme à un drame psychologique sur des êtres humains traumatisés, parce qu’ils le sont. Par exemple, je ne voulais pas filmer le combat entre Aleksei et Jomo comme dans un Rambo. Cela aurait été ridicule. J’avais envie de tourner ce film d’une manière différente, plus abstraite. Comme spectateur, j’aime qu’on m’envoûte, quel que soit le registre.
La danse occupe une place déterminante dans le récit. Vous faites le lien entre des danses rituelles et la transe du clubbing. Et entre l’entraînement des militaires et la chorégraphie…
Disco Boy est un conte. À mes yeux, c’est un film sur les fantômes. J’ai travaillé avec le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku dont j’ai vu un spectacle au Centre Pompidou. Lui aussi travaille sur le retour des fantômes, la réincarnation, le rapport aux ancêtres,… C’était une évidence de travailler avec lui sur ce film. Le hasard a voulu qu’il soit nigérian alors que j’avais imaginé cette partie africaine du récit. Qudus m’a aidé aussi pour le choix des costumes, il nous a accompagnés au Nigeria. C’était beaucoup plus qu’un simple consultant nigérian. C’était un véritable partenaire artistique, comme Vitalic.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Vitalic ?
Vitalic était mon premier choix pour la musique du film. Je l’ai contacté longtemps à l'avance. Il a vu et aimé mon précédent court métrage. Je n’avais pas encore tourné quoi que ce soit mais je lui ai parlé des images que j’avais en tête, de ce qui m’intéressait dans sa discographie pour ce projet. Il a composé certains morceaux avant le tournage du film et, non seulement, j’ai trouvé ces morceaux incroyablement pertinents, mais je les ai partagés avec les comédiens et la directrice de la photo pour que le film s’imprègne de la musique. Ce que j’aime bien dans sa musique c’est qu’avec la techno, il arrive à faire quelque chose de mélancolique et de lyrique. Comme je cherchais le sacré là où on ne l’attend pas, je trouvais pertinent de travailler avec lui.
Précisément, quel est votre rapport au sacré ?
Je suis très respectueux des croyances, même si je suis agnostique. Je ne sais rien de l’invisible. Ma spiritualité est comme une maison en construction que j’explore. Et je pense que c’est très puissant et intéressant. Je crois aussi que, même si nous ne sommes pas croyants, d’une manière ou d’une autre, nous avons besoin de la relation, de l’absolu. Ainsi, visiter un club, ou simplement danser, peut nous mettre en contact avec quelque chose de plus grand que nous.