”Sur l’Adamant” : “bombes humaines”, trésors d’humanité et humour devant la caméra de Nicolas Philibert
Le réalisateur de “Être et avoir”, multiprimés, poursuit son exploration documentaire du soin dans nos sociétés. Début d’une trilogie couronnée d’un Ours d’or à la Berlinale 2023
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- Publié le 30-05-2023 à 18h30
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Sur l’Adamant, vingt et unième film de Nicolas Philibert commence en chanson : “Je veux vous parler de l’arme de demain/Enfantée du monde, elle en sera la fin/Je veux vous parler de moi, de vous/Je vois à l’intérieur des images, des couleurs/Qui ne sont pas à moi, qui parfois me font peur/Sensations qui peuvent me rendre fou.”
Les adolescents des années 1970 auront reconnu les paroles de “La Bombe humaine”, titre du groupe français Téléphone. Paroles qui résonnent étrangement en 2023, alors que nous sommes saturés “d’images, de couleurs” “qui ne sont pas de [nous], qui parfois [nous] font peur”.
François, l’homme qui les chante dans ce qui ressemble à un café, est ce que beaucoup de gens appelleraient “un fou”, précisément. Une de ces personnes qui, pour mille raisons, mais peut-être à cause des sensations trop fortes ou violentes du monde contemporain, perdent pied.
Le documentariste Nicolas Philibert affirme faire des films “pour être un peu moins con”. Pour rester humain, aussi, observer ses semblables. Le cinéma de Nicolas Philibert est une espèce en voie de disparition : il prend le temps. Et il regarde des gens qui consacrent, eux aussi, du temps à ce qui paraît de moins en moins précieux à l’aune de la dictature du rendement : enseigner (Être et avoir, 2002), informer (La Maison de la Radio, 2013), soigner (De Chaque Instant, 2018).
Le soin, encore, et l’accueil sont au cœur de Sur l’Adamant. Soit une ancienne péniche amarrée sur la rive droite de la Seine, à Paris, sur le quai de la Rapée. L’Adamant, ouvert en 2010, est un centre de jour, dépendant du pôle psychiatrique Paris Centre. Il accueille les patients sur une base volontaire. On y parle, on y pratique et organise des ateliers.

Coïncidence : le réalisateur nourrissait ce projet lorsque la pandémie du Covid-19 est arrivée. Le film prend une dimension supplémentaire en montrant ce lieu poursuivre ses activités, ultime refuge et lieu de socialisation d’individus qui, autrement, seraient livrés à eux-mêmes. Sur l’Adamant fait écho à La Moindre des choses (1996), chronique de la création d’une pièce de Witold Gombrowicz par les patients et les soignants de la clinique de La Borde.
Philibert pose avec bonheur sa caméra dans cette péniche remplie d’êtres inoubliables, tel Frédéric, dandy un peu fripé, persuadé que son frère et lui-même ont inspiré Van Gogh dans ses portraits. D’un lieu de fragilités le réalisateur fait un royaume peuplé des “fous” d’une société qui ne l’est pas moins. Les vérités qui dérangent sortent de leurs paroles, s’affichent dans leur peinture.

Ce n’est pas la moindre des réussites que de maintenir la souffrance ou la misère sociale à juste distance, tout en parvenant à les suggérer. Nicolas Philibert respecte la dignité de ceux qui ont accepté de se laisser filmer ou de dialoguer avec lui. De la confiance et la complicité nouées surgissent de réjouissants moments de poésie et d’humour. Les protagonistes de Sur l’Adamant ne se donnent pas en spectacle, mais on applaudit leur sagacité sans filtre, digne du film éponyme de Ruben Östlund.
Cette croisière immobile sur l’Adamant est un film heureux, joyeux, alimenté par une douce énergie. “Jusqu’à quand ?” interroge toutefois l’épilogue de Sur l’Adamant à propos de l’activité du centre du jour. “Le plus longtemps possible” ont répondu les jurés de la 73e Berlinale qui ont décerné l’Ours d’or au film en février. Bon augure pour le triptyque dont ce film est le premier volet.
Sur l’Adamant de Nicolas Philibert. 1h46
