"Blue Jean" : être lesbienne sous Thatcher
Primé à la Mostra de Venise, “Blue Jean” est un premier long métrage anglais délicat signé Georgia Oakley. La jeune cinéaste britannique y aborde, avec force et poésie, un sujet douloureux : la loi contre la promotion de l’homosexualité dans l’Angleterre de la fin des années 1980. Notre critique.
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- Publié le 07-06-2023 à 07h00
- Mis à jour le 24-08-2023 à 14h12
1988, dans une petite ville du nord de l’Angleterre. Professeure d’éducation physique, Jean (Rosy McEwen) est obligée de mener une double vie, lorsque le gouvernement Thatcher adopte une nouvelle loi stigmatisant ouvertement la communauté LGBT. Votée en 1988 (et totalement abrogée en 2003 seulement), cette “section 28” de l’acte de gouvernement interdisait la “promotion” de l’homosexualité, en ciblant notamment l’école et les professeurs, qui risquaient leur poste si leur homosexualité était révélée. “Les enfants doivent respecter les valeurs traditionnelles, plutôt qu’on leur dise qu’ils ont le droit inaliénable d’être gays”, prêchait alors Margaret Thatcher à la télévision…
Lesbienne bien dans sa peau, vivant une relation discrète avec sa compagne Viv, Jean se retrouve donc condamnée à une vie de mensonge. L’arrivée de Lois (Lucy Halliday), une nouvelle élève de 15 ans, vient bousculer l’équilibre précaire qu’elle s’est construit. Une nuit, la prof rencontre en effet la jeune fille dans un bar lesbien. Jean vit désormais dans la crainte d’être dénoncée publiquement…

Homophobie structurelle de l’école
Dans son premier long métrage Blue Jean – qui a obtenu le prix du public des Giornate degli autori à la Mostra de Venise en 2022 –, Georgia Oakley revient sur une loi britannique aujourd’hui totalement oubliée, prise par les Conservateurs anglais à la fin des années 1980, dans la même ligne que la législation russe actuelle sur la promotion de l’homosexualité…
Elle-même lesbienne, la cinéaste de 35 ans ne signe pas un film militant. Georgia Oakley nous replonge avec méticulosité dans l’Angleterre de l’époque, qu’elle met en scène dans sa petitesse, son manque d’ouverture d’esprit, en décrivant le climat de suspicion auquel étaient condamnés ces professeurs à qui l’on empêchait de vivre leur sexualité librement.

Mise en scène organique
Pour dénoncer cette homophobie structurelle dans le milieu scolaire anglais, Georgia Oakley passe par le portrait intime d’un très beau personnage, une jeune femme tiraillée par un profond dilemme moral vis-à-vis de sa jeune élève. Un personnage complexe, à la fois revêche et émouvant, campé par la gracieuse Rosy McEwen, une jeune comédienne épatante que l’on avait notamment vue dans la série The Alienist.
À l’écran, toutes ces questions théoriques se font très concrètes, grâce à une mise en scène organique et sensuelle, aux accents poétiques, malgré la grisaille de cette Angleterre corsetée. Comme lorsque, dans la belle scène d’introduction, Jean se teint les cheveux en bleu pour exprimer sa personnalité ou lorsque, durant le cours de gym, on sent naître le malaise, quand, face au regard de Lois, Jean dont tenir une jeune fille par la taille pour lui montrer tel ou tel mouvement…

Blue Jean Drame Scénario et réalisation Georgia Oakley Photographie Victor Seguin Musique Chris Roe Montage Izabella Curry Avec Rosy McEwen, Kerrie Hayes Stacy Abalogun… Durée 1h37
