Valérie Donzelli (réalisatrice de “L’Amour et les Forêts”) : “Personne n’est à l’abri d’une relation d’emprise”
Dans “L’Amour et les Forêts”, excellente adaptation du roman d’Éric Reinhardt qui sort ce mercredi 6 juin au cinéma, Valérie Donzelli confronte Virginie Efira et Melvil Poupaud dans un thriller intime intense sur le thème de l’emprise. Entretien.
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- Publié le 06-06-2023 à 17h06
- Mis à jour le 06-06-2023 à 17h07
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Il y a deux semaines, Valérie Donzelli, Melvil Poupaud et Virginie Efira étaient présents au 76e Festival de Cannes pour dévoiler L’Amour et les forêts. Au cinéma ce mercredi, le sixième long métrage de l’actrice et cinéaste française adapte ici avec talent le roman homonyme publié en 2014 par Éric Reinhardt. Sur la terrasse panoramique d’un grand hôtel de la Croisette, la réalisatrice du très fort La Guerre est déclarée en 2011 et son acteur Melvil Poupaud répondaient aux questions des journalistes sans pression, puisque le film était présenté hors Compétition.

Passage du masculin au féminin
“J’ai lu le livre en 2014, alors que je tournais Marguerite et Julien (film sur un scénario pour Truffaut démoli en Compétition à Cannes en 2015 et resté inédit en Belgique, NdlR), explique la réalisatrice. Et j’ai tout de suite vu une force cinématographique, la possibilité de faire une sorte de film d’angoisse, un thriller psychologique. Je me suis aussi beaucoup identifiée au personnage de Bénédicte Ombredanne, à sa capacité à prendre sur elle, à son côté idéaliste, au fait qu’elle pense que les choses vont toujours s’arranger. J’y ai vu des résonances personnelles. Et cela, ça m’a passionnée de voir comment Eric Reinhardt arrivait à décrire un personnage aussi manipulateur avec tant de précision.”
Il aura néanmoins fallu quelques années pour que Donzelli décide de faire ce film. Le tournant, c’est la “rencontre déterminante” avec sa coscénariste Audrey Diwan (la réalisatrice de L’Événement d’après Annie Ernaux en 2020, NdlR). Les deux scénaristes ont tout d’abord décidé de changer le point de vue, passant d’un narrateur masculin à celui de l’héroïne qui, de Bénédicte Ombredanne, devient Blanche Renard. “Il était très important pour moi qu’on soit dans le point de vue de la victime et qu’on comprenne, de l’intérieur, la fragmentation de son esprit par rapport au poison, au doute qu’il lui distille. Au bout d’un moment, elle est complètement envahie par quelqu’un d’autre, elle ne sait même plus quoi penser. Elle perd toute confiance. […] Souvent, on se dit : pourquoi elle ne part pas ? Je voulais qu’on comprenne à quel point c’est difficile. Quand on est dans cette position, on ne fonctionne pas comme la personne déviante face à soi, on ne peut donc pas trouver des solutions pour se défendre. On est dans un état de sidération”, commente la réalisatrice.
Disséquer le mécanisme de l’emprise
Pour préparer son film, Valérie Donzelli n’a pas rencontré de victimes de l’emprise. “J’ai lu des livres. J’ai aussi puisé certaines choses dans ma vie personnelle, des gens autour de moi. Je me suis pas mal inspirée d’une amie assez proche, qui a eu une histoire difficile très proche de celle de Blanche Renard. Et puis j’ai discuté avec une spécialiste de l’emprise. Ensuite, une fois qu’on avait compris son fonctionnement, on s’est beaucoup amusé avec Audrey à écrire, très minutieusement, les dialogues de Greg. Chaque mot était pesé. On relisait les scènes à voix haute et on corrigeait, jusqu’à ce que chaque rouage soit précis. Quand on se disait que c’est implacable, qu’on pouvait croire qu’elle baisserait la garde, on avançait sur la suite…”
Avec L’Amour et les Forêts, Valérie Donzelli espère libérer la parole des victimes, même si c’est très difficile. “Quand on sent intuitivement que quelque chose est dysfonctionnel, il ne faut pas la laisser grandir. Il faut couper net, le dire tout de suite. En même temps, c’est bizarre de dire ça, puisque, justement, l’emprise ne fonctionne que parce qu’on n’arrive pas dire les choses, parce qu’on est dans le déni. Ce sont des choses inconscientes aussi. Moi, je pense qu’on devrait tous faire une psychothérapie. Je suis pour la psychanalyse généralisée, mondiale : Tout le monde sur le divan ! Tout le monde irait mieux”, plaisante la cinéaste.

Efira et Poupaud, une évidence
Pour le personnage féminin de son film, Valérie Donzelli a immédiatement pensé à Virginie Efira. “J’ai joué avec elle dans un film (Madeleine Collins d’Antoine Barraud en 2021, NdlR). Je l’ai vu travailler. C’est fou comme elle disparaît derrière un rôle. C’est une actrice que j’admire beaucoup et je trouve qu’on a tout de suite de l’empathie pour elle. J’aime aussi sa corpulence. C’est une femme qui a un corps, une présence. Ce n’est pas une petite brindille. Pour le personnage de Blanche Renard, je trouvais intéressant que ce soit une femme avec cette ossature-là qui l’incarne. Je lui ai donc offert le livre, en lui disant que je souhaitais l’adapter et que je pensais à elle. Elle l’a lu et elle m’a dit qu’elle trouvait ça vraiment bien. J’ai donc vraiment écrit avec son visage en tête…”
Je suis pour la psychanalyse généralisée, mondiale : Tout le monde sur le divan ! Tout le monde irait mieux.
Pour Melvil Poupaud, la cinéaste a repensé au duo qu’il formait avec Efira dans Victoria de Justine Triet. “J’aime beaucoup Melvil depuis toujours. Pour ce rôle, je voulais quelqu’un qui ressemble à un prince charmant, avec un charisme à la Cary Grant, qu’il soit très séduisant. En fait, ça a été une évidence pour les deux rôles”, explique l’actrice-réalisatrice. Qui a trouvé très libérateur de, cette fois, ne pas jouer dans son film et de pouvoir se concentrer uniquement sur la réalisation.
“Ça a été le tournage le plus joyeux que j’ai fait, alors que c’est le film le plus violent dans ce qu’il raconte. Il y a aussi un rapport au temps dans le film, les scènes se sont étirées sur la longueur. J’ai énormément aimé travailler des plans séquences de sept-huit minutes, où on jouait toute la scène. Ce sont des moments de tournage uniques. On oublie qu’on est sur le plateau ; on se projette déjà presque dans la salle de cinéma…”, s’enthousiasme la cinéaste.

Melvil Poupaud, plus trouble que jamais
À Cannes, souriant et élégant, Melvil Poupaud sirotait une Corona aux côtés de Valérie Donzelli, tout en réfléchissant à son rôle dans L’Amour et les forêts, celui d’un pervers narcissique. Pas facile de se mettre dans la peau d’un personnage aussi toxique. “J’ai été coaché par des salauds, sourit-il… Non, j’ai trouvé le scénario très bien écrit. Je n’ai pas lu le livre. J’ai vu que Valérie maîtrisait parfaitement son sujet. Et je connais malheureusement des gens, des femmes comme des hommes, qui sont passés par là. En lisant le scénario, en tournant les scènes, je me reconnaissais dans ce personnage. Je ne suis bien sûr pas ce type d’homme mais, sur quelques dialogues, ce sont des choses que j’ai pu dire à ma femme, à ma petite amie, sans comprendre combien cela pouvait être manipulateur. Cela a donc été instructif de jouer ce personnage, pour comprendre quand commence l’oppression, le contrôle de l’autre. En général, quand je lis un scénario, je commence à jouer avec le personnage, à laisser ses émotions grandir en moi. Dans ce cas, c’était beaucoup de haine et de violence, ce à quoi je ne suis pas habitué. Je l’ai joué quelquefois, mais pas tant que ça. Et je n’avais jamais été aussi loin. C’était donc plutôt un travail intérieur, pour devenir cet être terrible et laisser sortir le monstre au bon moment pour la scène. ”
Il est important pour Melvil Poupaud de venir défendre L’Amour et les Forêts à Cannes. “Le sujet est très important, très contemporain. Mais j’ai l’impression que les gens parlent plus facilement aujourd’hui et que les hommes changent. J’ai changé. J’ai une fille de 22 ans et je me sens un peu moins inquiet pour elle, du fait que le comportement des hommes a changé. Même si cela arrive toujours… Et parfois, c’est l’homme qui peut être abusé par une femme. On n’en parle pas. Mais j’ai été dans une relation avec une femme, qui tentait de me contrôler, qui avait une forte emprise sur moi. Cela peut arriver à chacun”, confie l’acteur. Que l’on reverra, le 27 septembre prochain, à l’affiche de Coup de chance, le prochain film d’un certain Woody Allen…
Flippant en mari jaloux, exerçant une pression psychologique constante sur sa femme, Poupaud est tout aussi convaincant dans le rôle du prince charmant. “Je dois dire que le fait de jouer Carry Grant était plus difficile que jouer le méchant. Heureusement, on a pu d’abord tourner les scènes de dispute, de violence, puis revenir au début. Valérie a tourné tout le début en 16 mm, ce qui donne un sentiment un peu à l’ancienne, un peu comme la Bretagne de Rohmer…”, songe Melvil Poupaud.

Filmographie : Valérie Donzelli (réalisatrice)
- Demoiselle (2000). Court métrage
- Il fait beau dans la plus belle ville du monde (2007). Court métrage
- La Reine des pommes (2009), avec Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm
- Madeleine et le facteur (2010). Court métrage
- La Guerre est déclarée (2010), avec Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm. 6 nominations aux César
- Main dans la main (2012), avec Valérie Lemercier, Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm
- Marguerite et Julien (2015), avec Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm, Aurélia Petit. En Compétition à Cannes
- Notre Dame (2019), avec Valérie Donzelli, Pierre Deladonchamps
- L’Amour et les Forêts (2023), avec Virginie Efira, Melvil Poupaud. En sélection officielle à Cannes