Notre critique de "Barbie": Greta Gerwig signe ce film parodique ancré dans les travers d’aujourd’hui
Imaginé par Greta Gerwig et Noah Baumbach, le film fait de la couleur rose le nouvel étendard des luttes contre les injonctions contradictoires et les stéréotypes. Critique.
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- Publié le 19-07-2023 à 06h34
- Mis à jour le 25-07-2023 à 16h36
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Allongée dans son lit Queen Size aux draps pailletés, Barbie s’éveille en douceur. Un soleil radieux baigne Barbie Land tandis que se déroule en douceur sa routine matinale. Douche, toast et boisson avant qu’elle n’enfile sa tenue cintrée et ne saute au volant de sa décapotable. Alors qu’elle sourit à ses amies, une nouvelle journée de rêve s’annonce pour Barbie. Le lendemain matin, pourtant, la mécanique millimétrée semble enrayée, serait-ce le résultat des pensées morbides qui lui ont traversé l’esprit la veille, en soirée ?
En vélo, en bateau, en avion et en roller, la voilà qui file tout droit vers le monde des humains afin de comprendre ce qui cloche et remettre son propre univers à l’endroit. Un monde réel où Barbie découvre qu’elle n’est plus l’icône des fillettes.
A la poursuite du bonheur perdu
Décors kitsch et soucis en toc sont là pour donner plus de relief encore à la prise de conscience de l’égérie. Tout en remettant en cause les limites de ce petit monde rose bonbon où seuls règnent en maître la perfection et la bonne humeur. Soudainement consciente que la perfection est un leurre, voilà Barbie en quête de son humanité, une aventure qui comporte son lot de désillusions. Un rôle complexe à la mesure du talent de la formidable Margot Robbie (vue récemment dans le film Babylon). Dans le costume du “copain” trop blond pour être malin, Ryan Gosling roule des mécaniques tout en mettant son cœur à nu, le film s’employant à démonter en parallèle tous les clichés du fiancé modèle.
Richesse d’une parodie passant aussi en revue toutes les versions de la poupée, même les plus excentriques, qui sont venues étoffer le petit monde de Barbie et dont certaines ont été très peu appréciées par les parents. On se souvient de l’indignation de certains face à la Barbie enceinte… Le film propose aussi un clin d’œil à celle à qui les petites filles n’ont pas toujours dit merci : Ruth Handler qui, la première, imagina l’héroïne longiligne destinée à faire rêver les fillettes, à commencer par la sienne prénommée… Barbara.

Si le film suit Barbie dans ses démêlés entre réalité et fiction, la part masculine de la salle n’est pas laissée pour autant sur le côté : la crise existentielle que traverse Ken, et tous ses semblables, permet d’interroger les signes ostensibles de domination masculine et certains diktats de la virilité.
La firme Mattel, elle-même, qui règne sur le monde de Barbie depuis 1959, s’autocaricature sous forme d’un Conseil d’entreprise totalement uniforme, une sorte de gentlemen’s club qui, sous couvert de faire rêver les mômes, reste principalement mû par l’appât du gain.
Au scénario, on retrouve la plume acérée et parodique de Greta Gerwig et Noah Baumbach, duo complice depuis le tournage de Frances Ha, comédie dramatique ancrée dans un autre univers ultra-codifié : celui de la danse. L’actrice, devenue scénariste et réalisatrice, s’emploie à merveille à recréer en prises de vues réelles cet univers 100 % américain, vendu comme modèle d’un monde idéal à des centaines de millions d’enfants à travers le globe.
Une génération en lutte, entre kitsch et parodie
Ensemble, les deux scénaristes réussissent un mélange harmonieux de parodie et de kitsch qui, curieusement, parvient à se maintenir sur le fil étroit entre savoureuse mise en abyme et dérision pimentée, sans jamais sombrer du côté mielleux et caramélisé de la force. Un véritable exploit dans cet univers mercantile où, du placement de produit aux tenues les plus iconiques de Barbie, tout pourrait très rapidement sembler too much.
La force de ce film qui ose tout – des passages chantés aux chorégraphies les plus kitsch, dignes des plus célèbres boy’s band, en passant par des courses-poursuites avec vélos multi-places -, réside dans son message de déconstruction des injonctions adressées aux petites filles et aux femmes en général, mais aussi aux garçons. Rappelant à chacune et chacun qu’il importe de rester maître de son existence et de lutter en toutes circonstances pour la parité entre les hommes et les femmes.
Des jeunes femmes en salopette rose qui veulent reprendre le contrôle de leur univers et de leur vie : rarement la couleur nacrée aura autant été synonyme d’empowerment. Pour Barbie et toutes ses amies, il n’y a ni gêne ni honte à être ce qu’elles sont : des femmes solidaires et déterminées.
★★★ Barbie A la recherche du bonheur perdu De Greta Gerwig Scénario Greta Gerwig, Noah Baumbach Avec Margot Robbie, Ryan Gosling, Emma MacKey, Kate MacKinnon, Issa Rae, America Ferrara, Ariana Greenblatt... Durée 1h54