Notre critique d'"Oppenheimer", de Christopher Nolan : ce biopic du "père de la bombe atomique" avec Cillian Murphy est son film le plus abouti
Christopher Nolan redresse la barre après le décevant “Tenet”. Sa biographie du physicien Robert Oppenheimer est son film le plus pertinent.
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- Publié le 19-07-2023 à 09h02
- Mis à jour le 31-07-2023 à 00h28
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Tenet (2021), le précédent film de Christopher Nolan, a laissé dubitatif. Sa démonstration de savoir-faire s’appuyait sur un scénario prétexte, exemple ultime du principal vice du réalisateur du Prestige : l’art de la poudre aux yeux.
Rien de tel dans Oppenheimer qui devrait réconcilier le public avec Nolan. Ce biopic est, selon nous, son meilleur film : le plus abouti, le mieux écrit, le plus pertinent, d’autant plus à l’aune des enjeux géopolitiques présents, de l’Ukraine aux bruits de bottes aux portes de Taiwan. Rien de gratuit, ici, tout fait sens.
La peur des nazis
En 1964, Stanley Kubrick livrait sa satire féroce sur l’équilibre de la terreur : Dr Folamour ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe. Le modèle du docteur Folamour (Strangelove en V.O.) du film, incarné par Peter Sellers, était le docteur J. Robert Oppenheimer, caricaturé en scientifique allemand, avec force aczent gutural et salut nazi intempestif.
Oppenheimer, bien que d’origine allemande, est né aux États-Unis. Juif, il abhorrait les nazis. C’est la peur de ceux-ci qui l’a amené à taire sa conscience pour concevoir la première bombe atomique. Elle ne sera pas utilisée contre des nazis mais contre des civils japonais. Si Oppenheimer a eu des sympathies jugées coupables, c’est en faveur du communisme.
Dix ans avant le film de Kubrick, en 1954, Robert Oppenheimer (Cillian Murphy) affronte les membres Commission de l’énergie atomique des États-Unis. Ils doivent se prononcer sur le renouvellement de son habilitation de sécurité.

Un héros soupçonné d’espionnage
Le “père de la bombe atomique”, célébré comme un héros national en 1945, est soupçonné de complicité d’espionnage au profit du nouvel ennemi soviétique. Sa femme Kitty (Emily Blunt), le général Groves (Matt Damon), son superviseur militaire durant la guerre, sont entendus. Il sera question des amitiés communistes du scientifique avant guerre et de sa maîtresse, Jean Tatlock (Florence Pugh).
À l’audition d’Oppenheimer, en 1954, se superpose celle, au Sénat, de Lewis Strauss (Robert Downey Jr. qui rappelle qu'il peut jouer autre chose qu'Iron Man), président de la Commission de l’énergie atomique. En 1958, il brigue le poste de secrétaire d’État au Commerce. Entre les deux, s’insère le cheminement d’Oppenheimer, de génial étudiant mal dans sa peau à maître d’œuvre des deux premières bombes atomiques de l’histoire.

Une intrigue soutenue
Christopher Nolan adapte le livre de Kai Bird et Martin J. Sherwin, American Prometheus. The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer. Sur papier, le récit est linéaire, rigoureux, hyper détaillé, donc parfois fastidieux à suivre.
À l’écran, Christopher Nolan convertit le complexe écheveau aux nombreux protagonistes en intrigue soutenue, captivante. Il le rythme avec un de ses ressorts favoris : la course contre le temps (ses fans trouveront son plan fétiche du compte à rebours). Il aborde avec clarté des questions d’ordre éthique, moral, politique, philosophique à partir des dilemmes d’Oppenheimer.
Au milieu de blockbusters toujours plus régressifs, Nolan ose replacer la barre du cinéma quelques crans plus hauts. Il impose une attention de chaque instant au spectateur. Aucune scène n’est anodine. Chaque dialogue fait sens.
Le film devient une démonstration cinématographique de la physique quantique, chère à Oppenheimer. À l’échelle microscopique, chaque scène a son sens individuel, une fonction qui échappe d’abord. À l’échelle macroscopique, leur assemblage forge le rythme du film, sa tessiture, son sens fondamental.

La performance de Cillian Murphy
Cillian Murphy dans le rôle-titre compose un Oppenheimer aussi complexe, électron trop libre, figure insondable. Son génie visionnaire est suggéré par quelques effets de styles (très réussis) qui matérialisent à l’écran sa vision du monde quantique (sa première spécialité). Elles prennent un tour plus funeste, lorsque le scientifique perçoit tout le potentiel destructeur des forces libérées.
Nolan tient à distance Hiroshima et Nagasaki. Ce choix lui sera sans doute reproché, d’autant plus qu’il y oppose des scènes de liesse, outrageuses au regard du bilan humain des bombardements des 6 et 9 août 1945. En restant sur le point de vue purement américain des événements, Nolan expose l’aveuglement du patriotisme guerrier, le danger du cloisonnement.

Le “Rosebud” d’Oppenheimer
Depuis Citizen Kane d’Orson Welles, les récits de vie, qu’ils soient fictifs ou authentiques, ont leur Rosebud : l’énigme qui recèle la clé de la personnalité de la figure centrale. Pour Oppenheimer, il y a le mythe de Prométhée, qui donne son titre anglais du livre de Kai Bird et Martin J. Sherwin.
Tel le héros mythologique, le scientifique a descendu le feu sacré de l’Olympe. En punition, il fut cloué à une montagne, condamné à avoir le foie dévoré par un aigle pour l’éternité. L’aigle de Zeus devient le symbole des États-Unis et d’une vision unilatérale du patriotisme.
Oppenheimer a appris à aimer la bombe, avant de s’en inquiéter. Albert Einstein, qui avait alerté le président Franklin Roosevelt du risque de voir les nazis fabriquer une bombe atomique, a refusé de prendre part à sa conception. Il livre à Oppenheimer l’ultime Rosebud de ce drame faustien, un message en forme de malédiction.
Oppenheimer De et écrit par Christopher Nolan. Avec Cillian Murphy, Robert Downey Jr., Emily Blunt, Matt Damon,… 3h
