"Le Colibri" : Favino et Moretti magistraux dans le biopic romanesque d’un homme ordinaire
Francesca Archibugi adapte le huitième roman de l’écrivain italien Sandro Veronesi
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- Publié le 23-08-2023 à 17h54
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Marco Carrera (Pierfrancesco Favino) est un bon père de famille. La vie de ce bourgeois bien établi vacille quand il reçoit la visite singulière du docteur Carradori (Nanni Moretti), le psychanalyste de sa femme, Marina (Kasia Smutniak). Il pleut ce jour-là. Et ce que le praticien annonce à Marco est une douche froide : enfreignant toutes les règles de déontologie, le psy vient l’avertir qu’il court un grave danger.
Cette annonce à la fois intrigante et effrayante amène Marco à revisiter sa vie et ses choix à l’aune de ce qu’il découvre sur sa femme. Marco interroge ce qu’il n’a jamais pu ou voulu comprendre ou voir.
Huitième roman de l’écrivain italien Sandro Veronesi, Le Colibri, traduit en français en 2021, est porté à l’écran par Francesca Archibugi. Tel le petit oiseau qui bat de l’aile frénétiquement afin de rester en vol, son protagoniste s’épuise à laisser sa vie en place ou la résilience pour sauver les apparences.
Allers et retours temporels
Le romanesque apparent débouche, comme dans le roman, sur un balancier d’allers et retours temporels, de l’adolescence de Marco dans les années 1970 jusqu’à nos jours. Comme dans un biopic sur une célébrité, la réalisatrice scrute dans ce puzzle les moments-clés, relie les points de convergence ou de divergence des fils de vie des protagonistes. Point d’ancrage, un amour de jeunesse, Luisa (Bérénice Bejo), étoile un peu filante.
Il n’est pas simple d’avoir pour “héros” un être ordinaire. Nous en sommes pourtant plus proches que bien des figures romanesques, sur papier comme à l’écran. “Marco Carrera, c’est moi”, pourrions-nous dire tel Flaubert.
Un homme qui, faute de certitudes, s’engonce dans ses non-choix. Jusqu’au jour où il prendra un destin en main, pas le sien, mais un autre, en guise de rédemption (sa plus belle décision).
Il est révélateur que ce soit au terme d’une partie de poker – jeu où le hasard s’allie à la stratégie et à la décision rapide – que Marco opèrera le choix le plus déterminant de sa vie. Momentum du film où l’alternance des temporalités s’arrête temporairement.

Acteur tout terrain
Veronesi a le verbe et la verve pour ce récit d’une vie, de l’enfance au dernier voyage, égrainé de son lot d’espoir, de renoncement, de drame, d’amour et, même, d’une relation extraconjugale, suprême aventure pour cet homme tranquille. Francesca Archibugi bénéficie de Pierfrancesco Favino, acteur tout terrain du cinéma italien.
Il apporte la robustesse de son jeu tout en cassant une image régulièrement virile ou dominante (Romanzo Criminale, Le Traître ou le récent Dernière nuit à Milan) en médecin très ordinaire qui n’ose même pas consommer un amour de jeunesse.
On peut regretter que la réalisatrice – paradoxe – n’a pas pris le temps d’accorder plus de place aux figures féminines qui gravitent autour de Marco. Elle bénéficie pourtant d’un casting solide. À l’opposé, le psychanalyste incarné par un toujours magistral Nanni Moretti est une figure pivot. Sa présence est un clin d’œil : il a incarné Pietro Paladini, le héros de Chaos calme, autre roman de Veronesi porté à l’écran.
Son personnage vient opportunément mettre de l’ordre dans le maëlstrom de drames et de valses hésitations qui émaille la vie de Marco. Pour figure singulière et improbable qu’il soit, il est la clé de “lecture” du récit : Marco découvre à la suite de son annonce les tabous et secrets de son entourage. L’ophtalmologue de profession ouvre enfin les yeux. Il croyait connaître sa vie, se connaître. Il n’en était rien.
Le Colibri De Francesca Archibugi. Avec Pierfrancesco Favino, Kasia Smutniak, Bérénice Bejo, Nanni Moretti,… 2h06
