"Le Ciel rouge” (critique): Christian Petzold signe une excellente tragicomédie Grand prix du jury à la Berlinale 2023
"Le Ciel rouge”, deuxième film de la trilogie du réalisateur sur les mythes allemands apporte un vent de fraîcheur bienvenu sur son cinéma. Paula Beer y est une nouvelle fois magnétique. Critique.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dffc4ca2-824b-4571-b0d0-543ddfd99cb2.png)
- Publié le 05-09-2023 à 16h46
:focal(1031x782:1041x772)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/M6PDKUVTI5GDXLNC3U2IXTAPNM.jpg)
Grand prix du jury à la Berlinale 2023, Roter Himmel de Christian Petzold acquiert a posteriori une pertinence visionnaire : cette tragicomédie se déroule sur fond d’intenses feux de forêt (qui donnent au titre son Ciel rouge), qui finiront par s’inviter dans le récit.
Tragicomédie, donc : un registre inattendu pour le réalisateur allemand Christian Petzold, surtout féru d’exploration des relations humaines, amoureuses notamment. Il retrouve ici sa nouvelle actrice fétiche, Paula Beer.
Belle et sereine
Deuxième volet d’une trilogie sur les mythes allemands, commencée avec Ondine, Le Ciel rouge est, aussi, celui de sentiments. Le mythe en question découle d’un poème de Heinrich Heine, L’Asra, l’histoire d’un esclave qui observe chaque soir la fille du sultan, “belle et sereine”, se rendre à la fontaine. Après l’ondine, les feux de l’amour…
Leon (Thomas Schubert), jeune écrivain auteur d’un premier succès, peine à terminer son second roman, Club Sandwich, une satire sociale tellement dans l’air du temps qu’il lui semble déjà démodée.
Leon espère beaucoup de la retraite dans la maison vacances familiale, sur les bord de la mer Baltique, de son ami Felix (Langston Uibel), un étudiant en art qui veut terminer un portefolio de photos.
À l’arrivée, surprise : une jeune femme, Nadja (Paula Beer) occupe déjà les lieux. Ses ébats bruyants avec le maître nageur de la plage voisine Devid - avec un "e" (Enno Trebs) - dérangent d’autant plus le sommeil de Leon qu’il n’est pas insensible au charme de la jeune femme.

Triangle amoureux
Les relations se compliquent quand le triangle amoureux prend un tour inattendu. Quand l’éditeur de Leon, Helmut (Matthias Brandt) s’invite à la fête et accorde une oreille très attentive aux commentaires incisifs de Nadja sur le manuscrit de l’écrivain, Leon déborde.
Le drame que Christian Petzold tisse en dramaturge contemporain déjoue les rôles assignés à chacun. Comme si les personnages ou leurs interprètes se rebellaient à l’intérieur d’un dispositif préétabli.
Le réalisateur allemand confiait à Berlin que l’humour ravageur de certaines scènes est le fait de ses acteurs. Lui-même, bien qu’auteur du scénario, n’avait pas perçu à quel point Leon a l’art de mettre les pieds dans le plat (les scènes de repas abondent). Thomas Schubert et Paula Beer apportent en effet aux joutes verbales entre l’écrivain et Nadja un sous-texte savoureux.
À 62 ans, Christian Petzold, sans opérer une mue radicale, démontre qu’il reste en prise avec son époque : ses (jeunes) personnages ne sortent pas du moule d’un boomer. Ils ont les mœurs et le langage des quasi-Millenials qu’ils sont.
A travers ces récits individuels, Petzold a toujours été un chroniqueur de notre époque. Ecrit pendant la pandémie, Le Ciel rouge fait écho à l'anxiété contemporaine. Les feux de forêts du scénario avaient valeur d'allégorie. Mais leur dimension prémonitoire, a posteriori de l'été écoulé, rend cette angoisse d'autant plus tangible.
Le classicisme est dans l’art de faire jouer un mythe moderne par des figures contemporaines – ce qui est le programme de cette trilogie. L’image universellement connue que convoque Petzold, à la fois tragique et d’une beauté bouleversante, renvoie à la vision du monde qui sépare Leon et Nadja.
Le Ciel rouge | Roter Himmel De et écrit par Christian Petzold. Avec Paula Beer, Thomas Schubert, Matthias Brandt,… 1h52