"J’ai 20 nanas comme toi prêtes à commencer demain”: derrière les sourires à l’antenne, un panier de crabes

Arte a déniché “Profession : reporter”, une excellente série australienne.

Helen Norville (Anna Torv) et Dale Jennings (Sam Reid) sont décidés à s'épaule pour grimper jusqu'aux sommets.
Helen Norville (Anna Torv) et Dale Jennings (Sam Reid) s'épaulent pour arriver jusqu'aux sommets cathodiques. ©© Ben King

Ça commence par un gros raté à cinq minutes du JT. Dale Jennings regardait, avec contentement, son interview exclusive de l’acteur Paul Hogan lorsque la bande de la cassette s’est soudainement enrayée. Les feuilles du calendrier sont arrachées au 21 janvier 86, il est 17h55 à la pendule, et les disques durs n’existent pas encore. Pour faire court, l’interview de “Crocodile Dundee” est totalement fichue… D’autant plus épineux pour le jeune reporter que son interlocuteur vient d’être élu Australien de l’année.

Pas le temps de cogiter, il fonce tête baissée en salle de montage récupérer des images d’archives d’Hogan, avant d’enregistrer un duplex à la va-vite hors de la rédac pour sauver le sujet. Un exploit dans l’urgence qui ne lui vaudra, malheureusement, aucun remerciement. Ni de ses boss, ni de ses collègues… Peu confiant, bienveillant, Dale Jennings n’a guère la cote au sein de la rédac du News at Six.

Helen (Anna Torv) n’est pas, non plus, totalement épanouie, malgré le fait qu’elle ait réalisé le rêve de Dale : devenir coprésentatrice attitrée du JT. Son partenaire de pupitre, le “François De Brigode wallaby” lui vole les lancements prestigieux et guette sa moindre erreur. Elle rêve surtout de faire plus de terrain. Problème : elle propose, toujours, des sujets sérieux et trop engagés que Lindsay, le directeur de la rédaction trouve, de son côté, barbant. Ce dernier a l’idée de proposer un marché à Dale : accepter d’accompagner Helen en reportage pour la détourner des sujets de niche. La carotte : un essai à la présentation. Les deux collègues vont apprendre à se connaître et à se serrer les coudes pour tenter de grimper jusqu’aux sommets cathodiques. Et ils ont tout intérêt à se montrer solidaires, car derrière les sourires, se cache, un vrai panier de crabes.

Concurrence, pression, frustration

Cette mini-série australienne nous plonge, donc, à l’intérieur d’une rédac. Sa première qualité est de raconter très justement ses rouages. Michael Lucas a lu de nombreux témoignages sur le métier et il a bien fait. La course à l’audience, la fausse émotion pour faire pleurer dans les chaumières, les sujets racoleurs et débiles (”Les gens veulent quelque chose de plus léger”), la frustration des journalistes sérieux, la concurrence effrénée (”J’ai 20 nanas comme toi prêtes à commencer demain”), la pression de la hiérarchie, celles inhérentes au métier comme dans la série culinaire The Bear (selon une récente enquête canadienne, 69 % des répondants travaillant dans les médias disent souffrir d’anxiété et 46 %, de dépression), l’ego exacerbé de certains, les coups bas entre collègues, la solidarité, la fascination des proches pour la télé… Tout est parfaitement ausculté.

Michael Lucas a, d’ailleurs, eu l’intelligence de placer ses personnages face à de vrais événements pour proposer un document historique : le sida, l’attentat du commissariat de Russell Street, le mariage de Sarah Ferguson et du Prince Andrew, l’explosion de la navette Challenger, la catastrophe de Tchernobyl… Une plongée plaisante et addictive en 1986 en Australie. L’atmosphère de l’époque est bien sentie entre misogynie (”ma belle”, les commentaires déplacés sur le physique des femmes…), le racisme, ou l’homophobie. Sans oublier la liberté totale de descendre des bières dans la salle de rédac.

Certains personnages cabossés de Michael Lucas rappellent ceux de Paul Thomas Anderson. Dans l’épisode 6, on pense notamment à la scène du restaurant dans Magnolia et à la musique de Jon Brion, aussi présente dans Punch-Drunk Love.

Les deux personnages principaux sont excellents (surtout Anna Torv dans un rôle à la Cate Blanchett dans Blue Jasmine) tout comme tous les seconds rôles. Mention spéciale à Stephen Peacok parfait en “bevan” (baraki) du fin fond de l’Australie. La série a connu un gros succès dans le pays à tel point qu’une saison 2 est déjà dans les tuyaux.

“Profession : reporter” (“The Newsreader”) – Série créée par Michael Lucas – Réalisation : Emma Freeman – Scénario : Michael Lucas, Niki Aken, Kim Ho, Jonathan Gavin – Avec : Anna Torv, Sam Reid, Michelle Lim Davidson, Stephen Peacocke – Déjà disponible sur Arte.tv (6x52').

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