"Friends présente des personnages qui deviennent réellement nos amis"
Bien avant d’être une exposition, “l’experience Friends” a été un instant canapé partagé par des millions de téléspectateurs. Souvenir sériphile du temps de la télévision sans streaming.
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Publié le 31-03-2023 à 08h49 - Mis à jour le 31-03-2023 à 09h47
Le 6 mai 2004, NBC mettait un point final à la sitcom le plus célèbre du monde (alors). Six amis, 236 épisodes de vingt-deux minutes et beaucoup de rires (pas préenregistrés, comme on le croit : la série était tournée en public). En dix ans et autant de saisons, Friends (1994-2004) n’a jamais quitté durant sa diffusion originale le Top 10 des émissions les plus regardées selon les estimations de l’Institut Nielsen aux États-Unis (elle fut numéro un durant sa huitième saison et toujours dans le Top 5 à partir de la deuxième). Créée par Marta Kauffman et David Crane, la sitcom rassemblait en moyenne 26 millions de téléspectateurs chaque semaine aux États-Unis (quelque 1,5 million de francophones, en France et en Belgique malgré un doublage approximatif). Son épisode le plus populaire (diffusé après le Super Bowl de 1996) a rassemblé 52,9 millions de téléspectateurs.
Antécédents. Vétérans du théâtre, Marta Kauffman et David Crane avaient déjà œuvré avec le producteur Kevin Bright sur la série Dream On de HBO – série déjà innovante et un brin anticonformiste centrée sur un père divorcé aux multiples aventures amoureuses, toujours catastrophiques. Pour Friends, Kauffman et Crane imaginent six jeunes célibataires qui tentent de surmonter les aléas de la vie et de l’amour à New York. Le pitch précisait : “Il s’agit d” une période de votre vie où tout est possible, ce qui est à la fois très excitant et très effrayant. Et il est question d’amitié, car lorsque vous êtes célibataire et que vous vivez en ville, vos amis sont votre famille”. L’intention est d’accorder un temps d’écran égal à chaque personnage avec une structure narrative innovante qui entremêle trois intrigues distinctes, parfois liées, au sein d’un même épisode.
Le décor. Manhattan, au milieu des années 1990, dans un café cosy appelé Central Perk et deux appartements à côté. Six amis partagent leur vingtaine, leurs déboires amoureux et professionnels, leurs joies et leurs peines. Ils se disputent, parfois, mais se réconcilient, toujours. “La série Friends […] présente des personnages qui, à mesure qu’on les fréquente, deviennent réellement nos amis. […] On apprend à les aimer pour leurs imperfections” résume la philosophe Sandra Laugier, auteur de Nos vies en séries (Flammarion, 2019). Dès le départ, ces personnages ont été conçus comme des personnes en quête d’amour, d’engagement et de sécurité. Personne ne pouvait prédire le succès de la série. Mais, au final, sa durée de dix ans a été parfaite. “Les fondements de la série nous mènent à une conclusion naturelle, a expliqué David Crane. Friends commence à une période de votre vie où vos amis sont votre famille. [À la fin], ce sont six amis qui partent dans des directions différentes. […] Il s’agissait donc de tourner la page – pas seulement sur dix ans, mais sur le chemin parcouru de la vingtaine à la trentaine.”
Une série charnière. Friends appartient à ce que l’historien de la télévision Jason Mittell appelle l’ère Multichaînes (années 1980-1990) qui succède à la première ère (”Classique”). Elle a vu s’intensifier l’essor du narrowcasting (ciblage des programmes vers des publics de niche). La chaîne NBC, forte du succès des séries Seinfeld et de Mad About You, cherchait une sitcom susceptible de séduire les téléspectateurs jeunes et urbains, cible intéressante pour les annonceurs. Cette identification du public à une période charnière de sa vie, a créé un lien unique les personnages. “Les séries télévisées ont pour matière la réalité et l’expression humaines, qu’elles incarnent dans des personnages que nous fréquentons au long cours” jusqu’à dix ans pour Friends, écrit encore la philosophe Sandra Laugier. “I’ll be there for you” chantaient les Rembrandts dans le générique de la série : message à triple sens, qui vaut pour les protagonistes entre eux, avec le public et des fans fidèles à leur égard.
Pourquoi est-elle encore populaire ? 25 000 tickets pour The Friends Experience se sont vendus dès l’ouverture de la billetterie en ligne. Il en va de Friends comme de Star Wars : ceux qui l’ont découverte jeunes y restent attachés. La série participe de “l’intégration des personnages à la vie ordinaire et familiale des spectateurs” comme l’écrit encore Sandra Laugier. L’expo Friends, c’est un peu la version “culture de masse” de “J’avais vingt ans en 2000”. Pour les parents, c’est le souvenir de cette époque déterminante dans la vie. Pour leurs enfants, imaginer (un peu) ce qu’était le quotidien de leurs parents (et les télévisions cathodiques, les premiers GSM, les ordinateurs moches, les répondeurs téléphoniques, la vie avant TikTok…).
Une nouvelle génération de fans. Netflix en a acquis les droits de diffusion en 2015. Dans la phase de croissance de la plateforme, la série a été un de ses produits d’appel. Durant la pandémie, elle a grimpé parmi les séries les plus vues : revoir les Friends sur le canapé du Perk Cafe ou celui de leur appartement en confinement avait un effet miroir rassurant. “Il aura fallu attendre ce printemps particulier, qui voit doucement la perspective d’un monde sans Covid-19 poindre au loin, […] pour que le besoin irrépressible de binger quelques épisodes ne me reprenne” écrivait une consœur dans la chronique “Pause Séries” du Monde en mai 2021. C’est un écrin de nostalgie de temps plus doux (en apparence) et “une expérience partagée” renouvelée, entre des adolescents qui approchent de l’âge et des préoccupations que leurs parents avaient à l’époque où ils l’ont vue.
Un marqueur culturel. Friends a familiarisé le public européen avec le mode de vie de jeunes urbains américains. Le Central Perk, où les six amis se retrouvent dans presque chaque épisode, a essaimé partout dans le monde le modèle contemporain des coffee shops (cookies et muffins inclus…). Diffusée en France en VO sous-titrée sur Canal Jimmy et contemporaine de l’essor du DVD, la série a permis à toute une génération d’apprendre des expressions et codes linguistiques américains (la chaîne YouTube, Learn English With TV Series, propose encore des séquences pédagogiques à partir d’extraits de la série).
Novatrice. Mais son impact sociétal est plus large. “Friends souligne le rôle social et culturel important de la sitcom américaine […], en tant que vecteur d’idées et d’images reflétant et alimentant à la fois les préoccupations sociales contemporaines” estime Jessica Thrasher, docteure en études anglophones à l’université du Havre et autrice d’une thèse sur Friends. Dès son premier épisode, la série introduit un couple homosexuel (l’ex-femme de Ross, Carol, et sa compagne Susan) et pose la question d’un nouveau modèle de paternité et de maternité (Carol est enceinte). La série “invite à maintes reprises ses téléspectateurs tout au long de sa diffusion à revisiter et à reconceptualiser l’institution de la famille, et plus particulièrement la figure maternelle” écrit la chercheuse. Ni tollé ni polémique n’accompagnent alors la réception de ces récits. “L’impératif générique comique de la sitcom, la nécessité de faire rire, est sans aucun doute responsable d’un effet de lissage permettant une 'entrée clandestine' de ce contenu idéologique potentiellement perturbateur, le rendant ainsi plus acceptable pour un public varié.”
Et conservatrice. Tout en soulignant ses innovations, Jessica Thrasher que le discours dominant de la série “idéalise la classe moyenne supérieure et l’homogénéité raciale”. En dix saisons, il n’y a eu, en effet, que deux personnages majeurs non blancs. La série revient dans la norme (quatre protagonistes sont mariés, deux au seuil de l’être, même proportion pour la parentalité). La diffusion sur Netflix à partir de 2015 a sucité une relecture, parfois des fans de la première heure. En cause : des “blagues” “sexistes”, “homophobes”, “transphobes” et “grossophobes” (le surpoids de Monica est une source de moqueries récurrente). Ross et Joey sont les plus visés. Mais il faut se rappeler que les protagonistes, surtout les trois garçons, sont souvent renvoyés dans les cordes de leurs préjugés. “La construction narrative […] s’attèle à fragiliser tout jugement définitif [et multiplie] les ambivalences et les doubles lectures possibles”, estiment Charles Coustille et Clément Sigalas dans la revue Fabula. Les problématiques soulevées par ces critiques sont “réelles” estimait en 2021 Jessica Thrasher. Mais “[les] jeunes générations continuent de regarder Friends car elles font la part des choses, elles savent que la série a été créée à une autre époque et dans un autre contexte sociétal”.
Les personnages
- Rachel : Cette enfant gâtée, gosse de riches, a fui son mariage et se retrouve serveuse dans le café qui sert de repère à la bande. Elle cherche l’amour idéal. Traits de personnalité : reine des gaffeuses et serial shoppeuse. Professions : serveuse, influenceuse avant l’heure, directrice de collection dans la mode. Fun fact : est tombée enceinte à Las Vegas. Réplique culte : “It’s moo”, allusion au meuglement d’un bovin qui signigie selon le contexte : “c’est facile”, “c’est ballot” ou “c’est sans intérêt”.
- Monica : Amie d’enfance de Rachel, elle occupe l’appartement principal de la bande. Son frigo approvisionne ses amis (celui du décor était réellement rempli de boissons et victuailles dont se servaient les acteurs. Profession : chef cuisinière (championne de la dinde de Thanksgiving). Fun fact : sait twerker avec une dinde sur la tête. Traits de personnalité : maniaque de l’ordre et control freak ; elle déteste perdre quand elle joue. Réplique culte : “I know !”
- Ross : (Grand) frère de Monica, il fait étalage de ses connaissances et agace un peu tout le monde (spectateur inclus). Ses colères sont homériques et sa vision du monde étriquée. Traits de personnalité : maladroit et pontifiant, nouveau modèle (malgré lui) de la paternité. Profession : paléontologue. Fun fact : se marie et divorce en série. Réplique culte : “We were on a break !” ou “PIVOT !”.
- Phoebe : Ex-coloc de Monica. Cette excentrique a le cœur sur la main. Professions : masseuse, chanteuse, chauffeuse de taxi… Traits de personnalité : lunaire et farfelue. Fun fact : a accouché de triplés (portés pour son demi-frère). Réplique culte : le refrain “Smelly Cat, Smelly Cat, what are they feeding you ?”
- Joey : Voisin de Monica et coloc de Chandler. Profession : acteur, futur nouveau Robert de Niro, ex-docteur Drake Ramoray du soap “Les jours de notre vie”. Fun fact : a accouché de calculs rénaux et a été figurant dans un film avec JCVD. Traits de personnalité : dragueur impénitent, gourmand, comique (involontaire) de la bande. Réplique culte : “How you doin'?” (avec un clin d’œil salace).
- Chandler : Ami d’enfance de Ross, coloc (et partenaire de babyfoot) de Joey. Profession : datamanager. Traits de personnalité : roi des sarcasmes, dépendant affectif (d’abord de la tonitruante Janice). Fun fact : amputé d’un orteil (et danseur (très) approximatif). Réplique culte : ” Oh My God !”