“Nous ne savions pas quoi faire”: l’humble constat de la série Netflix sur la catastrophe de Fukushima
En dix épisodes, un brin trop méticuleux, cette production japonaise rend hommage à ceux qui ont circonscrit la plus importante catastrophe nucléaire de l’Histoire après celle de Tchernobyl.
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- Publié le 01-06-2023 à 14h45
- Mis à jour le 01-06-2023 à 17h30
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”Nous ne savions pas quoi faire…” Tel est l’humble constat de Masado Yoshida, le directeur de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. On s’en souvient : le 11 mars 2011, un séisme d’une magnitude 9,1 frappe le Japon. S’ensuit un tsunami qui frappe la côte est du pays. Il inonde la centrale nucléaire et met hors service les systèmes de refroidissement principal et de secours de la centrale nucléaire, ce qui entraîne la fusion des cœurs de trois des quatre réacteurs et la surchauffe de la piscine de désactivation du quatrième.
Netflix programme The Days, une série japonaise de dix épisodes, qui retrace avec précision les événements et la gestion de la crise durant sept jours cruciaux. Au début du premier épisode, on voit Masado Yoshida (Koji Yakusho), directeur de la centrale de Fukushima, qui s’apprête à témoigner devant une commission d’experts. La série s’inspire en grande partie de son compte rendu détaillé ainsi que de l’enquête du journaliste Ryusho Kadota qui a interrogé nonante membres des équipes d’intervention.

Faire honneur
Les auteurs de la série ne cachent pas leur volonté de “faire honneur” à ces derniers tout en étant fidèles aux faits. En découle un récit qui s’abstient de tout excès de dramatisation, d’une retenue digne toute japonaise. La série souligne l’ingéniosité et l’abnégation des hommes de service à la centrale quand la catastrophe s’est produite, et qui sont restés sur place pendant une semaine pour éviter une catastrophe bien plus grave.
Pas question, ici, de mettre en avant des individualités héroïques, comme dans les séries anglo-saxonnes dont la production HBO Chernobyl (2019) d’excellente mémoire. Même si certaines figures se détachent du récit, comme le directeur Yoshida (décédé deux ans plus tard) ou l’ingénieur Maejima – qui est resté jusqu’à l’extrême limite dans le poste de commande – le collectif prime dans ce compte rendu.

Spécificités japonaises
Le spectateur occidental pourra être surpris par certaines spécificités japonaises – les subordonnés qui s’excusent d’ignorer une procédure à laquelle ils n’ont pas été formés, le directeur qui se refuse à exiger d’un sous-traitant un acte de sacrifice alors que des millions de vies sont en jeu. Elles reflètent pourtant la réalité de la stratification sociale et de la hiérarchisation, parfois procédurière à l’excès, de la société nippone. Elles expliquent une partie des failles qui ont pu troubler à l’époque des faits.
À cette aune, le personnage le plus intéressant, au milieu d’un aréopage de techniciens un peu obscurs ou d’officiels, est bien le directeur Yoshida, subtilement interprété par Koji Yakusho. Il passe progressivement du débonnaire directeur, soucieux des procédures, à celui d’un homme gagné par l’urgence au point d’oser outrepasser les ordres directs (un acte d’héroïsme au Japon) en faisant confiance à son intuition ou afin de préserver la vie de ses subordonnés.

Trop méticuleux
The Days offre, aussi, une forme de compensation au Premier ministre, Naoto Kan (Fumiyo Kohinata), devenu impopulaire et contraint à la démission à la suite des événements. On voit un homme conscient du pire, frustré face aux réponses vagues de subordonnés incapables de la moindre initiative. La série le montre prendre des décisions cruciales alors qu’un expert lui laisse entendre que la fusion des réacteurs pourrait rendre le Japon inhabitable dans un rayon de 250 kilomètres – soit “la fin du Japon” comme le résume le Premier ministre.
Au terme de neuf épisodes parfois trop méticuleux – le diable de l’ennui réside dans les détails – le dixième fournit la clé narrative de The Days, par la voix du directeur Yoshida : une leçon d’humilité à travers un double aveu d’ignorance que d’aucuns devraient méditer. Tout accident nucléaire étant sans précédent, “nous ne savions pas quoi faire”. Et si le pire a été évité, c’est par chance : “Pourquoi les réacteurs se sont-ils stabilisés ? On n'a jamais trouvé de réponse concluante.” Quant à l’héritage, il est “sombre” : il faudra encore quatre décennies pour démanteler une centrale dont les déchets produisent septante fois plus de radioactivité que le taux le plus élevé observé après le bombardement d’Hiroshima.
★★ The Days Réalisé par Masaki Nishiura et Hideo Nakata. Dix épisodes d’environ une heure. Sur Netflix.