Laurent Lafitte incarne Bernard Tapie sur Netflix: "Chez Tapie, il n'y a pas d'un côté, le mythe et de l'autre, la personne"
Considéré comme “l’incarnation française du rêve américain”, Bernard Tapie est au cœur de la nouvelle création française de Netflix à découvrir ce 13 septembre. Un projet porté par Tristan Séguéla et par le comédien Laurent Lafitte qui nous parle de la façon dont il a préparé ce rôle. Malgré les réticences de certains des proches et des fans de l’ancien homme d’affaires.
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- Publié le 09-09-2023 à 12h20
- Mis à jour le 13-09-2023 à 15h09
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C’est l’une des séries les plus attendues de la rentrée. L’homme d’affaires Bernard Tapie, surnommé Wonderman dans la version internationale, est au cœur de cette saga qui retrace le parcours de l’une des figures marquantes de la société française des années 80 et 90. “L’homme aux mille vies”, mort d’un cancer en 2021, pensait sincèrement qu’en matière de projets et d’innovations, “The Sky is The limit”. En France, son parcours en a d’ailleurs inspiré plus d’un.
Pour donner vie à un personnage aussi “grandiose et théâtral”, il fallait bien un acteur de la trempe de Laurent Lafitte. Dans la série proposée par Netflix, dès le 13 septembre prochain, le pensionnaire de la Comédie-française en offre un portrait saisissant, résultat d’un long travail…
D'un pavillon de banlieue au jet privé
"On a mis 13 ans à la faire cette série. On y raconte un parcours exceptionnel : celui d’un transfuge de classe, le fils d’un chauffagiste devenu homme d’affaires millionnaire.” Dans la série, on le voit tour à tour chanteur, vendeur d’électroménager, patron de l’OM, ministre et prisonnier… Fasciné par la réussite individuelle, Tapie voulait impressionner son père, rappelle la série. Ce qu’il a fait en devenant “l’incarnation française du rêve américain”. Un peu Berlusconi, un peu Trump "même s’il n’a jamais instrumentalisé ses origines”, précise le comédien Laurent Lafitte.
“J’ai été surpris de la multiplicité des vies qu’il a pu mener, notamment dans les affaires. C’est devenu palpable pendant le tournage, à travers la multitude de décors : je suis passé d’un pavillon de banlieue à un hôtel particulier, d’un jet privé à un yacht, d’un ministère de la République aux vestiaires d’un match de foot et à la prison. C’est devenu très concret…” (Il rit)

Un parcours étonnant et un côté bigger than life, comme disent les Américains. Un contraste fort, qui saute aux yeux dès les premières images de la série, dévoilant ses débuts comme chanteur en 1966…
“Oui, c’est une histoire finalement pas si connue de la jeune génération. Ils connaissent le nom, surtout ceux qui aiment le foot, mais ils n’imaginent pas forcément la richesse de son parcours qu’ils vont découvrir à travers la série” souligne le comédien.
Tel qu’on le rencontre, avant ses multiples succès, Tapie donne l’impression d’être en avance sur son temps avec des idées commerciales novatrices.
“C’est la qualité de tous les bons vendeurs et des grands entrepreneurs. Ils savent comprendre le désir ou le provoquer et s’en servir. Il a bien cerné son époque, il a compris très vite que tout allait passer par la télévision et il a déployé, dans la France des années 60, une énergie à l’américaine. D’ailleurs quand on cherche des qualificatifs, ce sont souvent des termes anglophones qui émergent : self-made-man, tycoon… C’est quelqu’un qui est dans une énergie de réussite, ultralibérale aussi, et très anglo-saxonne.”
Laurent Lafitte a refusé le "mimétisme obsessionnel"
Pour se préparer au rôle, Laurent Lafitte a “beaucoup lu sur sa vie pour pouvoir suivre l’évolution du projet à travers ses différentes phases d’écriture.” Une série dont il partage l’initiative avec le réalisateur et scénariste Tristan Séguéla.
“J’ai pris le pari de ne pas travailler le mimétisme et de ne pas me plonger dans les archives. J’ai voulu me débarrasser de l’exploit de la ressemblance, qui prend toute la place dans certains biopics. Je ne voulais pas qu’on ne voit que cela : le côté performance. En tant que comédien, cela ne m’intéressait pas du tout. Je me suis dit que ce serait mon Bernard Tapie: le résultat de tout ce qui a infusé en moi puisque je le connais depuis que je suis enfant.”
En soignant toutefois l’attention à certains détails. “Il y a des rendez-vous esthétiques qu’il faut respecter comme la coiffure, les costumes, sans être obsessionnel. Si j’essaie d’imiter sa voix, cela part de mes souvenirs – je suis né en 1973, je me souviens bien de lui -, je m’appuie sur cela et pas sur une assimilation obsessionnelle d’archives”, insiste-t-il.

Entre le mythe et la réalité qu’on découvre au fil des épisodes, Laurent Lafitte a dû tracer son propre chemin. “Je crois que c’était quelqu’un d’assez sincère. Ce qui l’a rendu mythique, c’est ce qu’il était vraiment. Pour moi, il n’y a pas d’un côté le mythe et de l’autre, la personne. Quand j’interprète un personnage, il n’a pas de recul sur lui-même, donc je ne peux pas prendre en charge cette réflexion analytique, cela ne m’aide pas à jouer. Dans le jeu, j’essaie seulement d’incarner un personnage avec le plus de sincérité possible. Mon travail se limite à cela. ”
Incarner un personnage réel entraîne parfois son lot d’écueils car le public attend l’acteur au tournant. Avait-il des craintes ? “Pas plus que pour un personnage inventé. Une fois que c’est fait, je m’interroge sur mes choix, sur le résultat. Est-ce que ce sera suffisamment proche de ce que les gens attendent ? Cette question vient après. Sur le moment même, je suis obligé de tracer droit dans les choix que j’ai faits.”
Travailler avec Tristan Séguéla qui, lui aussi, connaissait bien Tapie, apporte une certaine confiance. “Dans l’interprétation, cela m’assurait d’avoir un garde-fou, quelqu’un qui pouvait me dire : 'c’est pas du tout lui ou, au contraire, tu es pile dedans'. J’avais besoin de cela car je ne suis pas parti dans un travail d’imitation pure, c’était rassurant qu’il soit là.”
"Les critiques de principe ne me concernent pas"
Depuis la présentation publique de la série en avril dernier au festival CanneSeries, il y a eu des réactions pas toujours positives, de la famille Tapie (sa fille, notamment), mais aussi de certains supporters de l’OM…
“Pas positives à quel sujet ? Mais ils n’ont pas vu la série, donc cela ne m’intéresse pas. Ce sera intéressant lorsqu’ils l’auront vue. Des commentaires de principe, cela ne me concerne même pas.”
Bien sûr, face à un parcours aussi polymorphe, chacun a sa propre opinion. Ce touche-à-tout empli de paradoxes était pourtant “totalement sincère dans son combat contre l’extrême droite, souligne Laurent Lafitte. Et puis, il ne courait pas après la richesse. Ce qu’il voulait, c’était la reconnaissance. Et faire de son nom une marque. Sans Dominique, sa partenaire de longue date, il ne serait pas devenu le Tapie qu’on connaît tous.”
La série montre un homme sincère, mû par l’amour des siens “qui était aussi très attentif aux enfants.” À force de surenchère, le rêve a toutefois viré au cauchemar : l’homme s’est brûlé les ailes. Tapie a connu la prison et laissé 600 millions de dettes à sa femme… Un destin digne d’une tragédie classique. Au point de lui reconnaître des points communs avec certains héros classiques ?
“Pendant la préparation de la série, je jouais Dom Juan à la Comédie-française et j’ai créé des connexions entre les deux, à ce moment-là. Pas dans le côté conquête féminine, mais dans ce désir où Dom Juan, finalement, préfère conquérir que posséder. J’ai l’impression que Tapie aussi, était pas mal motivé par ça, avec quelque chose d’un peu autodestructeur. Quand on voit qu’après sa mort, il n’a rien laissé, alors qu’il a brassé des fortunes… Tapie n’a pas bâti un empire à la Arnault ou à la Pinault. Il n’a fait qu’exister avec flamboyance. C’est pour cela qu’il me fait un peu penser à Dom Juan.”
Dans tous les cénacles, Tapie cherche à sortir de sa condition

Homme de défis, comme on le voit dans la série, Bernard Tapie ne satisfaisait jamais de ce qu’il avait, il voulait toujours aller vers d’autres domaines.
“Oui, surtout les milieux qui lui semblaient interdits. Jusqu’à la politique qui est sûrement l’endroit où il va se brûler les ailes. Il vient d’un milieu prolétaire et on sent qu’il aime s’imposer là où il n’est pas forcément le bienvenu.”
Les termes flamboyance et panache font penser au rôle de Cyrano que le comédien prépare en ce moment. “Oui, c’est vrai que Tapie a beaucoup de panache. Mais Cyrano, lui, est un grand personnage romantique, donc la comparaison s’arrête là… Cyrano dit : ‘on ne se bat pas dans l’espoir du succès. Non, c’est bien plus beau quand c’est inutile’. Je pense que Tapie n’aurait jamais dit cela. L’homme se battait pour la gagne.” (Il rit.)
Un peu à l'image de ce projet, que le comédien a porté durant de nombreuses années..
“Au départ, c’est une envie. J’ai plein d’envies, mais parfois les choses ne se font pas. On n’a pas toujours le contrôle sur l’alignement de planètes qui permet à un projet de naître. Mais une fois que j’ai une envie, j’aime aller au bout et, en tout cas, me dire que j’ai tout essayé. Ce n’était pas une réflexion par rapport à mon parcours, c’était pour le plaisir du jeu. Je savais que jouer un personnage comme Tapie m’apporterait beaucoup de plaisir. Et comme beaucoup d’acteurs, je sais que le plaisir du jeu amène plus facilement celui du public.”
Tout tenter, ne rien lâcher : un autre point commun avec Tapie ? “Oui, sauf que moi, je ne sors jamais de mon domaine de compétence…" (Il rit) "Alors que lui s’est aventuré dans plein d’endroits différents…”
Quant à son comparse, Tristan Séguéla, coauteur du scénario avec Olivier Demangel (Novembre), il souligne la sincérité de leur démarche. “Tapie était un grand ami de mon père, j’ai passé de très bons moments avec lui. Je suis venu lui dire que j’allais faire cette série. Il a balayé l’idée d’un revers de la main. Mais lui-même m’a appris à ne pas écouter ceux qui lui disaient “non”.” Bernard Tapie a donc bien fait école.
=>Tapie : une série en sept épisodes, réalisée par Tristan Séguéla et portée par Laurent Lafitte, Joséphine Japy, Ophélia Kolb, Fabrice Luchini, Camille Chamoux… A voir le 13 septembre sur Netflix.