"On a fait des blagues qu’on ne peut plus entendre aujourd’hui"
"Caméra café" fête ses vingt ans ce dimanche. Yvan Le Bolloc’h et Bruno Solo reprennent leurs habitudes devant la machine à café le temps d’une soirée.
- Publié le 28-05-2023 à 14h04
Divertissement Diffusée pour la première fois le 3 septembre 2001 sur M6 (suivie par Club RTL en Belgique et adapté dans plus de 60 autres pays), Caméra café a marqué les esprits avec une moyenne de 3,2 millions de téléspectateurs qui suivaient chaque soir les aventures de Jean-Claude Constant (Yvan Le Bolloc'h) et Hervé Dumont (Bruno Solo). Au-delà des sept saisons, soit 570 épisodes, qui ont ouvert la voie aux capsules humoristiques courtes ou formats comme Kaamelott ou Scène de ménage, la série a connu deux films (Espace détente en 2005 et Le séminaire en 2009) et six BD. Un succès colossal, sans compter les nombreuses guest stars (Elie Semoun, Kad Merad, Pascal Obispo, José Garcia, Michaël Youn, etc.) venus jouer le jeu de la machine à café.
Les voilà donc de retour, vingt ans pour une soirée comique intitulée Caméra café, 20 ans déjà.. Sans une ride ? : "C'est gentil, mais par la force des choses, on a changé, confesse Bruno Solo. Alors est-ce qu'on s'est élevé ou est ce qu'on s'est tassé ? Je n'en sais rien. Intellectuellement, je veux croire qu'on s'est élevé. Qu'on a mûri, qu'il y a de la maturation là-dedans, comme dans du bon vieux pinard. Mais, en même temps, on me dit parfois : tu ne fais pas ton âge ! Je m'en fous de ne pas le faire. J'ai 58 ans et le temps a passé quand même…" Et Yvan le Bolloc'h de renchérir. : "Je ne veux pas contredire ça (sourire) !" Mais ils l'assurent : "On n'est pas des nostalgiques. Juste un peu de mélancolie des fois."
Qui dit vingt ans, dit vingt ans d’excès peut-être ?
Yvan Le Bolloc'h : (sourire) Oui, Jean-Claude, pour ne parler que de lui, est un homme d'excès. Un homme d'exception, mais un homme d'excès. Que ce soit appuyer sur l'accélérateur, distribuer des mains aux fesses en veux-tu en voilà, se comporter comme un goujat, faire des erreurs d'analyse, sortir la voiture du garage sans ouvrir la porte… Tout ça, il l'a fait, oui !
Bruno Solo : C'est là qu'on voit qu'il n'a pas beaucoup changé. Parce que vingt ans plus tard, on trouve que c'est le même. L'époque autour de lui a changé, le contexte a changé et, lui, il ne voit rien. Il est toujours figé dans une réalité qui n'appartient qu'à lui. Mon personnage est plus retors et plus hypocrite. Il s'est adapté. Il fait semblant de comprendre l'époque mais il la subit complètement. Il essaie de faire croire à chacun mais il n'y a que lui qui y croit… Et son camarade, parce que lui, il est trop naïf et trop candide pour ne pas voir à quel point je suis un manipulateur et une ordure. Il n'a donc pas changé fondamentalement. Il est plus caméléon. Jean-Claude, lui, c'est un fonceur. C'est un bison qui se dit : je suis un king et les gens vont me suivre. Les deux se trompent un peu.
On est donc toujours face au boulet et au foireux ?
B.S. : (rire) Ah oui. Oui, c'est ça. Mais on peut intervertir, je peux être un sacré boulet et lui, peut être sacrément foireux. Et vice versa !
Caméra café, ce sont parfois des répliques cultes…
Y.LB. : Oui, il y avait des fulgurances comme aborder une fille dans le sens : 'Alors t'as encore rêvé de moi, cette nuit ?' Il y a des trucs qu'on ne peut plus entendre, c'est sûr, même si c'était un peu plus élaboré que ça quand même. Il y a des morceaux d'orfèvrerie. Au niveau des dialogues, des choses absolument magnifiques.
B.S. : On est deux personnages totalement en décalage avec la bienséance de l'époque et parce que, tout simplement, on n'a pas l'intelligence pour comprendre que le monde a évolué. Effectivement, Jean-Claude continue de croire que toutes les femmes potentiellement lui appartiennent et qu'il peut faire n'importe quoi. Sauf qu'heureusement, aujourd'hui, on ne peut plus le faire. On n'avait pas le droit de le faire à l'époque, sauf qu'il y avait personne pour le lui dire. Parce que les femmes n'osaient pas ou parce qu'on ne leur avait pas donné les moyens de parler. Et lui, évidemment, il est totalement dépassé par cette période. Donc, on traite de la monstruosité de nos personnages au travers de personnages caricaturaux et monstrueux aussi.
Vingt ans après, on ne rit pas de la même façon ?
B.S. : On rit toujours de tout, mais plus n'importe comment.
Y.LB. : Les choses ont un peu changé quand même. Après, la rigolade, c'est immuable. Quelqu'un qui glisse sur une peau de banane devant vous, si ce n'est pas une personne âgée, etc., il y a moyen de rire quand même !
B.S. : Un col du fémur, si c'est bien fait, ça peut me faire rire (sourire). Du moment que ce n'est pas quelqu'un qui me concerne, que je n'ai pas mal, je n'ai pas de soucis avec la douleur des autres. Et ça, c'est du Hervé, par exemple.
Y.LB. : C'est effectivement dans la façon dont est consommé l'humour. D'ailleurs, est-ce que l'humour est devenu un objet de consommation et de quelle façon ? Ce sont des questions auxquelles je n'ai pas les réponses. L'humour, ça doit faire rigoler. C'est la base.
Aujourd’hui, il aurait donc été plus compliqué de faire Caméra Café ?
B.S. : Avec les réseaux sociaux, effectivement, on aurait eu à se justifier de la manière dont on abordait le racisme, le harcèlement moral, le harcèlement au travail ou encore le handicap. Parce qu'on a abordé tous ces sujets de manière très frontale et outrancière. Aujourd'hui, effectivement, ce serait plus compliqué d'avoir à se justifier sans cesse. Ce qui est pénible, c'est de se justifier d'une blague, d'une audace ou d'une caricature. Il y en a qui ont payé le prix fort. Charlie Hebdo est l'exemple même de femmes et d'hommes qui ont payé de leur vie le droit à la caricature, au blasphème et de se moquer. On leur a tiré dessus parce qu'ils avaient estimé que l'humour doit être sacralisé, sanctuarisé. L'humour, on lui attribue les vertus qu'il doit avoir, à savoir dénoncer les tourments et les turpitudes de ce monde. On n'a pas le droit toucher aux humoristes, de les toucher comme ça.
Serait-ce une des raisons pour lesquelles vous avez arrêté la série ?
B.S. : Non, parce qu'on ne savait pas que les réseaux sociaux arriveraient. On en avait juste marre.
Y.LB. : Et puis, on voulait quitter le tableau après avoir mis la dernière touche au sommet. On voulait être regrettés jusqu'à la fin des temps.
B.S. : On a arrêté quand ça marchait le mieux. On s'était dit que ça ne pouvait que décliner. Ce sont des cycles aussi. On aurait été sans aucun doute moins drôles, moins efficaces, moins motivés à l'idée de faire rire quand il y a une routine qui s'installe. Je ne sais pas comment font les Italiens ou Espagnols puisqu'on a vendu le programme dans pas mal de pays et ça continue chez eux depuis vingt piges, avec les mêmes comédiennes et les mêmes comédiens. C'est une performance qui me dépasse. Moi, j'en avais ras le bol ; ça nous prenait tellement de temps. On produisait, on réalisait, on écrivait, on montait, on jouait. On avait la responsabilité de tout le casting, etc. On tournait à flux tendu et il fallait diffuser vingt sketchs par semaine.
Après la série, le cinéma, la BD, les T-shirts et ce téléfilm "Caméra café 20 ans déjà", où serez-vous dans vingt ans ?
B.S. : Moi j'aurai une petite poche sur le côté, là, ça c'est sûr (sourire) ! Et je ne saurai même plus ce que tu m'as dit. Dans vingt ans, j'aurai 80 piges. Je crois que je ne serai plus en état de faire Caméra café. J'espère qu'on sera à la retraite quand même…
Y. LB. : Si tant est qu'elle existe encore et qu'on puisse en bénéficier ! Qu'on puisse la prendre en pleine santé aussi. Comme le disait Michel Audiard : le tout, ce n'est pas de partir en retraite mais de partir en vie !
B.S. : Mais rassurez-vous, on craquera avant.