Les débuts assurés de Corinne Hoex

On se pose à tout âge les grandes questions de la vie. Mais c'est souvent dans l'enfance qu'elles surgissent avec le plus d'intensité dans la nudité de leur évidence. Ou de leur mystère.À travers «Le Grand menu», Corinne Hoex suit le regard d'une petite fille, moins candide qu'il n'y paraît, sur les incongruités, à moins que les étrangetés ou les manques de son existence.

MONIQUE VERDUSSEN

Le Grand menu

Corinne Hoex,

L'Olivier, 124 pp., 621 F (13,72 ).

On se pose à tout âge les grandes questions de la vie. Mais c'est souvent dans l'enfance qu'elles surgissent avec le plus d'intensité dans la nudité de leur évidence. Ou de leur mystère.À travers «Le Grand menu», Corinne Hoex suit le regard d'une petite fille, moins candide qu'il n'y paraît, sur les incongruités, à moins que les étrangetés ou les manques de son existence. En ayant l'air de rien, mais par le menu d'une observation acérée, celle-ci projette sur le monde autour d'elle et, plus particulièrement, sur celui des adultes que sont ses parents son attente de réponses qu'elle ne trouve pas. Comme si elle et eux parlaient des langages peu faits pour se rejoindre.

Naïf dans sa formulation le discours de la petite fille ne l'est jamais sur le fond. L'essentiel s'y inscrit entre les lignes, à la pointe aiguë de ses curiosités, de ses désirs et de la gravité douloureuse d'un appel d'amour incompris. Ou non perçu. Pour un coup d'essai, ce livre-là est un coup de maîtrise. D'une écriture ramenée à des phrases sobres et brèves. D'un sujet dont les ambiguïtés se trouvent amplifiées par la suggestivité des images ou des situations.

Il n'est guère de vert paradis aux amours d'une enfant qui voudrait sentir vibrer l'amour de sa mère plutôt qu'être étourdie de recommandations raisonnables, censées la protéger de dangers réels ou imaginaires et qui, en réalité, l'isolent du monde des autres. Celle-ci, qui n'échappe ni aux blessures, ni aux étonnements, ni aux frustrations, les trouve à l'intérieur même de son univers quotidien. Dans les esquives de maman, ses mensonges, ses goûts, ses silences, ses décisions, ses coquetteries. Dans les rires de papa, ses colères, ses projets, ses pitreries, son érotisme grossièrement affiché. Dans la mort du grand-père ou les croyances ironisées des voisins. Papa rêve et maman fait. Ensemble, ils accordent, refusent ou étouffent de leurs décrets péremptoires la jeune spectatrice qui tente de combler les crevasses que creusent en elle le mépris de ses élans et les bizarreries auxquelles elle se heurte. Comme celle du bureau qui se ferme à clef lorsque papa et maman y chuchotent de bien étranges additions.

Tout un climat s'installe peu à peu dans le roman, au gré des découvertes d'une fillette qui n'est docile qu'en apparence. Ses pensées, au contraire, se bousculent et l'agitent, interrogeant ce qu'elle observe sans nécessairement le comprendre. Pourquoi papa et maman sont-ils son «seul modèle» ? Pourquoi le ciel n'entre-t-il pas dans la maison? Comment trouver une place entre les «Allez! Ouste!» et les «Viens, ma crotte» de maman? Et si l'amour n'était pas un «bouquet de violettes» ? Comment se plaire au grand menu du dimanche où il est convenu d'avaler des choses qui ne voulaient que vivre? Et que fait à maman la main baladeuse de papa? Et pourquoi maman fulmine-t- elle que «Dieu n'existe pas» ?

Un univers pesant et ambigu, parfois trouble, émerge de la rigoureuse simplicité de ce «Grand menu». Celui de l'innocence on songe au Mozart assassiné de Saint-Ex bafouée par l'autoritarisme, l'égoïsme, la vanité, l'insouciance ou l'indifférence de ceux qui, détenant pouvoir d'ouvrir sur le monde, en condamnent systématiquement portes et fenêtres. Ici, dans le cadre oppressant d'une famille. Ailleurs, d'autres systèmes, à échelle plus large, ne procèdent pas différemment.

© La Libre Belgique 2001


EXTRAIT «Je dois me taire. Cesser de dire n'importe quoi, des choses sans queue ni tête. Cette gamine me saoule! se lamente Maman. Un moulin à paroles! Maman n'aime pas ces flots de phrases comme des torrents en crue qui débordent mes berges. Toutes ces bulles qui éclosent à la surface de ma pensée. Pendant ce temps, mes yeux regardent. Ouverts comme des bouches muettes. Mes yeux cherchent des preuves.» © La Libre Belgique 2001

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