Entre guillemets

Les poètes et la réflexion sur la poésie

«Pour qui veut s'informer de la poésie contemporaine, de ses tendances et de ses états, la tâche peut paraître ardue. Pour s'orienter, le lecteur doit affronter une géographie tourmentée, évolutive, prendre connaissance d'un index abondant des noms de poètes, accepter enfin une atomisation extrême où les écoles et les groupes jouent un rôle de plus en plus limité. Pourtant, les moyens et les guides existent. (...) Tous les poètes de quelque valeur font de la pensée sur la poésie un chapitre essentiel de leur art. De plus, cela permet d'échapper à l'intenable truisme d'une poésie tellement inspirée qu'elle ne s'abaisse jamais à se penser elle-même, à réfléchir sans complaisance sur ses moyens et ses fins. De Ronsard à Rimbaud, Apollinaire et Reverdy, de Baudelaire et Mallarmé à Hölderlin, tous les grands poètes, parfois parallèlement à leur oeuvre, le plus souvent en son sein même, ont développé un art poétique qui valait au-delà d'eux-mêmes.»

Patrick Kéchichian in «Le Monde», vendredi 14 mars 2003

Le terrible aboutissement du beau

A l'ombre du Rilke de «Car le beau n'est rien que le commencement du terrible...», ces lignes d'humeur, inspirées à Jack-Alain Léger par la peinture de Lisa Santos Silva: «Finie, la comédie. Des artistes réputés, ou du moins des réputés artistes, peuvent aujourd'hui, à défaut de savoir peindre une leçon de dissection, disséquer directement des cadavres, couper des vaches en deux, se chier dessus, s'ouvrir les veines, exposer leurs saignées, leurs humeurs, leurs merdes, installer partout à la vue du public leur linge sale, leurs déchets, leurs douteux calembours, leurs bouts de ficelles, leurs mortelles idées de mort éclairées au néon... Manifestations, ou, pire, manifestes de la dépression universelle. Lisa Santos Silva, elle, a depuis longtemps fait le pari, salutaire mais combien risqué, qu'on pouvait peindre encore, sur toile, à l'huile, avec des pigments... A l'ancienne? A l'ancienne, à l'intemporelle, à l'éternelle, comme on voudra. Et sans se condamner pour autant à répéter, à pasticher, à refaire des à la manière de. C'est l'art officiel - j'entends: le n'importe quoi cru moderne - qui ne fait que répéter. C'est son art à elle qui est le plus neuf. Rien de dépressif, ici. L'affirmation aristocratique, héroïque, joyeuse presque, du tragique de la vie. L'insolence de la vie - la vie-quand-même, la vie-même. Le terrible, ici, est l'aboutissement du beau.»

«L'Infini» n° 82, printemps 2003

© La Libre Belgique 2003

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