En quête d’harmonie dans les rues de Séville
Originaire de Bruxelles, Anne part vivre à Séville. Elle ne se prononce pas sur les raisons de l’élection de la cité andalouse, ou seulement " parce que c’est un peu loin".
- Publié le 08-01-2009 à 00h00
Originaire de Bruxelles, Anne part vivre à Séville. Elle ne se prononce pas sur les raisons de l’élection de la cité andalouse, ou seulement "parce que c’est un peu loin". De toutes façons, personne n’aurait pu comprendre ce désir, cette force qui l’entraîne, l’obligeant à poursuivre son objectif artistique inavoué auquel son âme est vouée : la musique.
Ce voyage initiatique - semblable à une fuite, peut-être - la conduit à une introspection salutaire. Après avoir enseigné le français langue étrangère dans un lycée sévillan, elle s’affranchit de cette contrainte, ainsi que de sa collègue, Imma, se disant musicienne, pour se consacrer à son défi, son but désormais existentiel : jouer au piano le deuxième concerto de Prokofiev.
C’est en déambulant dans les rues étroites de la ville et sur la terrasse rouge de son attique, "Prokofiev dans les tempes", qu’Anne s’est rendu compte qu’elle dérivait, qu’elle s’ignorait, s’éloignant de sa véritable identité, de sa vocation : être pianiste ou, plutôt, être musique, "cette succession de sons qui vient, comme une évidence douloureuse, errer transitivement dans le monde des hommes ! "
" J’aurais dû être pianiste, je suis pianiste, écoutez-moi, déjà l’on m’entend dans le lointain, oui, c’est ma musique, celle que j’avais promise, elle s’accomplit enfin, et je rachète ma faute, celle de n’avoir pas obéi autrefois, et je vibre, et je vis, adieu Imma vierge désolée, tu n’existes plus, et moi moins que toi, ma voix me dépasse à présent, dépasse toute ma petite personne scrupuleuse qui prêtait trop d’attentions à tes usurpations, à tes insinuations, à tes menaces ."
Avec cet étonnant premier roman, Marie Delos, née en 1977 à Namur, traduit, avec l’écriture, l’obsession mélomane, presque maniaque de sa protagoniste qui, pour s’entraîner à jouer et réveiller sa dextérité, tape sur un faux clavier dessiné, posé sur son bureau.
IMPÉTUEUSE MUSIQUE
D’une violence réprimée, le style étrange de l’auteure, à la fois soigné, parfaitement maîtrisé et plein d’ardeur, reflète l’humeur changeante de la narratrice. Car après une rencontre décisive avec Horacio, son futur colocataire, sournoisement, elle renonce et se fuit de nouveau, se perdant dans les méandres géométriques de Séville, sans doute pour mieux revenir à cette quête de l’immédiateté de la musique. Elle retourne à l’enseignement aussi, remplaçant sa collègue Imma, enceinte, mais applique les principes auxquels elle croit intensément : elle lit Victor Hugo à haute voix devant sa classe médusée.
Sur le fil, comme tendue au bord d’un précipice, l’écriture dénote la plongée progressive dans de sombres abîmes, puis le retour à la lumière. "Il y a six ans, j’ai écrit contre la trace. [ ] J’écrivais pour résister. Et je ne pouvais résister contre la trace que par la trace de ma résistance. [ ] le suicide n’était pas envisageable : il aurait minéralisé, accrédité la trace. Ne pouvait subsister de mon existence sur terre que le texte qui l’aurait démentie", écrit Marie Delos dans la préface. Les mots de "L’Immédiat", choisis avec la minutie mathématique d’une partition, résonnent jusqu’à l’image "métamorphique" finale, poétique, harmonique, fondatrice.
L'immédiat, Marie Delos, Le Seuil, 142 pp., env. 16 €