Un formidable Houellebecq
Avant même la sortie du livre (prévue le 8 septembre, lire ci-contre), le nouveau roman de Michel Houellebecq crée déjà l’événement. Chaque sortie de ses livres a divisé public et critique: génie pour les uns, grenouille creuse pour les autres.
Publié le 17-08-2010 à 04h15 - Mis à jour le 17-08-2010 à 09h45
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Avant même la sortie du livre (prévue le 8 septembre, lire ci-contre), le nouveau roman de Michel Houellebecq crée déjà l’événement. Chaque sortie de ses livres a divisé public et critique : génie pour les uns, grenouille creuse pour les autres. Mais ce débat a transformé "Les particules élémentaires", "Plateforme" et "La possibilité d’une île", en grands succès de ventes. Nous étions plutôt dans le clan des critiques, ne parvenant pas à nous intéresser vraiment à une prose névrotique et narcissique axée sur le tourisme sexuel en Thaïlande ou la vie d’une secte.
Autant le dire d’emblée, le nouveau Houellebecq est différent, remarquable et passionnant. Il devrait cette fois, réconcilier les deux camps. Même si ses fans trouveront le roman trop "lisse", les autres seront cette fois pris par cette histoire crépusculaire, mais teintée en même temps d’un humour corrosif et jouissif, enrichi d’une écriture souple, classique et lumineuse.
Michel Houellebecq n’a pas abandonné son regard pessimiste sur le monde. Il l’a même accru. Le livre se place sous l’exergue de cette citation en vieux français de Charles d’Orléans : "Le monde est ennuyé de moy, Et moy pareillement de lui". Tout est au fond, très sombre dans ce roman qui chemine vers la mort, l’anéantissement, sans aucune lueur, et qui au passage, décrit férocement nos habitudes de vie, en particulier le marché de l’art. Houellebecq ne croit en rien, si ce n’est - ce livre en témoigne - en la force de la littérature et des mots.
L’histoire de "La carte et le territoire" est celle d’un peintre, Jed Martin. On se souvient peut-être que Houellebecq fut un des rares à rencontrer à Versailles le peintre post-Pop américain Jeff Koons, la star du marché de l’art. Le magazine américain "Art world" avait en effet demandé à l’écrivain, très apprécié outre-Atlantique, d’interroger l’artiste à cette occasion. Le roman aujourd’hui, démarre sur un grand tableau que Jed Martin ne parvient pas à finir et qui montre "Jeff Koons et Damien Hirst se partageant le marché de l’art" : Damien Hirst, l’artiste de la mort ayant supplanté ces dernières années, Koons, l’artiste du sexe et de la fête, un peu comme Houellebecq est passé de romans où le sexe avait une grande place à ce dernier livre où le sexe a entièrement disparu.
Jed Martin est un artiste conceptuel qui, durant toute sa vie, n’aura réalisé que trois ou quatre séries, chaque fois sur un thème unique : des photos agrandies et trafiquées de morceaux de cartes Michelin ou des tableaux néoréalistes sur l’état du monde, tel "Bill Gates et Steve Jobs se partageant le monde". Cela permet à Houellebecq de parler avec une rare causticité du marché de l’art et de la cote faramineuse qu’atteignent certains artistes plébiscités par les collectionneurs milliardaires. Houellebecq s’amuse à mettre en scène ces Pinault, Abramovic et autre Arnault plus vrais que nature sans oublier le galeriste et l’attachée de presse.
Si Jed Martin devient très riche, il rate cependant tout le reste. Ses amours ont échoué et il ne reste plus que quelques prostituées -rarement- pour apaiser ce qu’il lui reste de désir. Son père, brillant architecte, se meurt d’un cancer et Jed découvre trop tard, qu’il a eu une vie peuplée de rêves et d’utopies qu’il n’a pu ni réaliser ni faire partager par son fils. Jed Martin finira ses jours, seul avec son chien, dans une villa entourée d’une clôture électrique, dans le Loiret, en travaillant inlassablement à une œuvre où le monde, symbolisé par des figurines humaines en plastique, est anéanti peu à peu sous la végétation.
Mais dans cette vie où il aime détailler les objets (façon Georges Perec) et où il croise Beigbeder, Pernault, Angot, Patrick Le Lay et d’autres célébrités du show-business bien épinglées par Houellebecq, Jed Martin croise surtout l’écrivain lui-même. Houellebcq se met en scène sans concessions, en ermite bougon, asocial, misanthrope, sale et alcoolique, dans une maison d’Irlande reconnaissable, dit-il, à ce qu’elle a la pelouse la plus mal entretenue du village. Cela nous vaut des autodestructions de Houellebecq que ses pires critiques n’oseraient formuler : "Ce que je préfère maintenant, dit-il dans le livre, c’est la fin du mois de décembre; la nuit tombe à quatre heures. Alors, je peux me mettre en pyjama, prendre mes somnifères et aller au lit avec une bouteille de vin et un livre. Je passe la plupart de mes journées, couché; je mange le plus souvent au lit en regardant des dessins animés sur Fox TV". Il juge la presse "d’une stupidité et d’un conformisme insupportable".
Un rapport intellectuel, presque filial, se noue entre l’artiste et l’écrivain, prétexte aussi à de belles et mélancoliques digressions sur le sens de l’art, l’obsolescence des choses, les utopies fouriéristes et la tyrannie de la mode. Jusqu’à ce que Houellebecq (dans le livre) meure de manière horrible, lacéré et déchiqueté sans qu’on sache par quel psychopathe.
Tout le charme du livre est dans ce mélange d’humour sur fond noir et de réflexions intelligentes qui distillent la nostalgie autour du rapport père fils, du sens de l’art, de la destinée de l’homme. Côté humour, il y a d’innombrables perles : le premier critique du travail de Jed Martin est un Chinois ! (Houellebecq voit bien l’irrésistible avancée de la Chine dans l’art actuel) Et, avant de mourir, Houellebecq se serait fait secrètement baptiser ! Son chien s’appelle Platon.
Une phrase résume ce Houellebecq et aurait pu conclure ce roman : "Les choses se terminaient ainsi, sans conclusion, ni explication, le dernier mot ne serait jamais prononcé, il ne demeurerait qu’un regret, qu’une lassitude".
La carte et le territoire, Michel Houellebecq, 428 pp, Flammarion, sortie le 8 septembre.