La saga des Stoclet
Le sort du merveilleux Palais Stoclet à Bruxelles passionne le monde culturel. Mais au-delà du chef d’œuvre d’Hoffmann qu’on appela “Rêve de Nabab” ou “Stocleon” à cause des merveilles qu’il contenait, il y a une autre saga, celle d’une famille...
- Publié le 08-11-2011 à 10h04
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Le sort du merveilleux Palais Stoclet à Bruxelles passionne le monde culturel. Mais au-delà du chef d’œuvre d’Hoffmann qu’on appela “Rêve de Nabab” ou “Stocleon” à cause des merveilles qu’il contenait, il y a une autre saga, celle d’une famille, racontée par l’historien et professeur à l’UCL Michel Dumoulin associé à Pierre-Olivier Laloux, dans un lourd volume de 535 pages publié aux Editions Le Cri. Un travail d’historien comme en témoignent les 1743 (!) notes de bas de page et les 24 pages de sources.
Au départ du projet, une demande de Philippe Stoclet, le dernier mâle (avec ses fils) à porter encore le nom Stoclet. Il s’est auto-institué (à l’irritation parfois des autres branches de la famille) défenseur du Palais (dans lequel il n’a plus d’intérêt). Il voulait un livre pour les cent ans de la construction du Palais et pour ses 80 ans. Le livre est passionnant même s’il suscite les réactions mitigées des autres branches, prêtes parfois à le soupçonner, sans préciser, de vouloir ainsi “régler des comptes”. Le livre le cite énormément, aussi comme un des derniers témoins de la vie au Palais à l’époque de son grand-père.
Le livre raconte en fait trois histoires emmêlées. D’abord, une histoire très fouillée des milieux économiques belges depuis 150 ans. Car le livre commence bien avant Adolphe Stoclet, le bâtisseur du Palais. Il montre que l’immense fortune fut en fait créée par ses grand-père et père d’Adolphe II : Adolphe Stoclet (1814-1892) et son fils Victor Stoclet (1843-1904), des bâtisseurs d’empire, mais des hommes discrets. Leur fortune vint de la banque, des chemins de fer, des non-ferreux, de la Société générale. Le livre raconte l’historique de cette fortune et ses déboires futurs.
La seconde histoire est celle du Palais voulu par Adolphe II (1871-1949) et son épouse Suzanne Stevens. Une maison de rêve, dont la construction avec les ateliers de Vienne, comme “œuvre totale” est racontée par le menu, y compris les “irritations” du chantier. On rappelle aussi comment Adolphe Stoclet refusa des interventions de Schiele et Kokoschka. Le Palais devint rapidement le rendez-vous des artistes et musiciens. Le Livre d’or garde les traces des centaines de personnalités du monde culturel venues à l’invitation du couple Stoclet, une tradition qui fut continuée sous la baronne Annie Stoclet, morte en 2002, et qui organisa chez elle des concerts Ars Musica.
En 1947, Henry Lavachery écrivait que le Palais Stoclet montrait “le rassemblement de tout ce qu’on peut rêver de plus rare et de plus précieux dans les arts les plus anciens et les plus étrangers aux yeux des collectionneurs”. Le livre de Dumoulin raconte comment Adolphe Stoclet acheta, avec une passion rare, des lots entiers de primitifs italiens, de pièces cambodgiennes ou égyptiennes, de céramiques chinoises.
La troisième histoire est celle d’une grande famille bourgeoise avec, comme le dit sous-titre du livre, “ses ambitions et passions”. Le livre est beaucoup plus bref sur l’histoire après la mort d’Adolphe et Suzanne, à quelques jours d’intervalle, en 1949. Il raconte comment furent divisés en trois le portefeuille d’actions et l’immense collection (largement vendue depuis), le Palais revenant à la branche de Jacques Stoclet et à ses quatre filles qui se divisent aujourd’hui sur son sort. Une saga dont, répétons-le, plusieurs points sont contestés par des branches de la famille, mais passionnante à lire.