Bruel en grande conversation
Cette "Conversation avec Claude Askolovitch" qui vient de paraître chez Plon ne révolutionnera certes pas le monde mais elle caracole déjà en tête des ventes en France et change l’image que d’aucuns peuvent avoir de Patrick Bruel, chanteur hyperpopulaire certes, mais pas seulement.
- Publié le 12-12-2011 à 04h16
- Mis à jour le 12-12-2011 à 15h22
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Voici une discussion saisie par indiscrétion, d’abord. On y entre distraitement, on retient une phrase, puis on y prend goût. Cette "Conversation avec Claude Askolovitch" qui vient de paraître chez Plon ne révolutionnera certes pas le monde mais elle caracole déjà en tête des ventes en France et change l’image que d’aucuns peuvent avoir de Patrick Bruel, chanteur hyperpopulaire certes, mais pas seulement. Un fossé sépare en effet la Bruelmania du juif de gauche engagé et invité à dîner par François Mitterrand après son passage à l’émission télévisée "7 sur 7" où il prend position contre le FN et incite les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales.
Patrick Bruel, donc. Enfin, Patrick Benguigui. Et pas Maurice, contrairement à ce qu’on peut lire sur Wikipédia suite à une blague récurrente de Canal + qui rend l’homme plutôt fou. Bruel, en revanche, il l’admet, c’est bel et bien le nom de scène qu’il a choisi et qu’il a, aujourd’hui, du haut de ses cinquante ans, porté plus longtemps que celui de Benguigui.
Présentée sous forme d’interview avec commentaires en italiques du journaliste, cette biographie autorisée raconte bien sûr le petit Patrick, avant qu’il ne soit devenu grand, le juif berbère, fils de parents séparés, mal à l’aise dans les milieux bourgeois catholiques de Niort suite au remariage de sa mère Augusta, l’étudiant désireux de réussir son bac - il le ratera d’un point - le jeune homme fou de joie à l’idée d’être engagé au Club Med et soudain appelé pour le cinéma. C’est parti. On connaît la suite, le succès d’abord, le succès à gérer ensuite, la passion du poker, des enfants, le mal de reconnaissance et la psychothérapie avortée. Jusqu’à ce livre, en quelque sorte.
Entretien lors d’une journée de promo très minutée.
Vous parlez beaucoup de votre rapport au temps dans cet ouvrage. On est en plein dedans…
Oui. Ne pas avoir le temps de dire, de faire, de se poser. Bon, pour la promo d’un livre ou d’un disque, c’est différent, on n’est pas là pour se poser, mais à la différence d’un film ou d’un disque, un livre, c’est très difficile, pour le journaliste comme pour moi, de le résumer en si peu de temps. Ceci dit, faut-il le résumer ? Moi, quand je l’ai lu, j’ai d’abord vu tout ce qu’il n’y avait pas dedans mais ce qui compte finalement, c’est l’impression qui se dégage du livre. Et je réalise qu’il en dit beaucoup plus que ce que je pensais.
Le livre, justement, c’est une autre approche temporelle…
Le livre s’étend sur presque deux ans de conversations, ce qui me paraissait un peu fou. C’est complexe. Une conversation devrait être concentrée sur un point précis mais là, on parle d’une vie.
Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Très bien Enfin, "up and down" J’ai parfois été pris dans des doutes énormes. Pourquoi je fais cela ? Puis, à l’arrivée, je suis content d’être allé au bout de ce projet, avec ce journaliste que je ne connaissais pas mais avec qui des liens assez forts se sont finalement tissés. Il vient parfois me chercher et je me laisse énerver. J’aime en tout cas son décryptage. Il me parle. C’est sûr que ce livre fait office de psychanalyse, une grande étape, une mise au clair. Je m’en suis rendu compte en le lisant alors qu’au début, je ne voulais pas spécialement faire une bio et j’en avais assez qu’on écrive sur moi sans me consulter.
Vous avez été blessé par la manière dont une certaine presse ou vos pairs parlaient de vous, par ces Victoires de la musique trop tardives…
Oui, et c’est vrai que quand Claude Askolovitch m’en parle, je réagis de manière un peu abrupte mais il faut remettre les choses en perspective. Je suis blessé quand un film comme "Un secret" fait plusieurs millions d’entrées, qu’il reçoit neuf nominations aux César, que je joue le rôle principal et que je ne gagne rien. Je suis blessé quand tout le monde, sauf moi, reçoit une nomination pour "Le prénom", le plus gros succès au théâtre depuis "La cage aux folles" alors que j’en suis l’artisan. Là, je ressens quand même comme une exclusion.
Le même phénomène s’est passé avec les Victoires de la musique en 91 pour l’album “Alors, regarde”…
Oui, je suis nommé dans toutes les catégories et je ne reçois rien, alors là aussi, je ressens l’exclusion.
Et la façon dont on parle de votre public, de son hystérie ?
Mon public n’est pas hystérique. Je ne pouvais pas laisser installer ce mensonge.
Est-ce qu’on choisit son public ?
On ne choisit pas. Moi, j’écris des chansons, je fais des pièces, je joue dans des films en espérant qu’ils plairont au plus grand nombre mais on ne fait pas son travail en fonction des goûts du public.
La tournée acoustique, c’était important pour vous ?
Ce concert était très important pour moi car il n’était pas prévu. Je vivais des choses un peu compliquées dans ma vie et je décide d’annuler un tournage de film. J’appelle mon agent en lui disant que je partirais bien avec ma guitare, voir les gens, en improvisant un peu, voir ce que ça donne. Je ne pense pas que ça tiendra la route mais ce serait marrant d’essayer. On essaye la salle de 700 places et très vite, cela devient 2 500 places. Puis, on se décide pour une tournée des Zénith, Rouen, etc. Alors, je dis : si on faisait Forest ? On me dit : t’es dingue, Forest ? L’acoustique n’est pas bonne. On ouvre les locations de Paris, Marseille, Bordeaux, Lyon et Bruxelles le même jour. Pour Paris et les autres villes, on vend environ 400 ou 500 places. Pour Bruxelles, 5000. C’était fou. On ne comprenait pas. Cela a toujours été comme cela, avec la Belgique. Je me retrouve sur scène et je m’aperçois que les gens sont complètement avec moi dans ce que j’ai à leur proposer de mieux, quelque chose d’intime, de très instantané et ça a été un moment de grâce. Je pouvais à la fois être acteur, être chanteur, être musicien. Ce concert est intemporel, je peux le donner où et quand je veux. Je l’ai joué à Las Vegas cet été et j’irai en Israël.
Vous évoquez aussi, au cours de cette conversation, vos difficultés à écrire, à finir une chanson…
Je les termine, là. J’ai sept chansons prêtes et cinq textes à finir. Toutes les musiques sont là.
De quelle tonalité sera ce nouvel album ?
Ah, je n’en parle pas. Il ne faut jamais dire ce qu’on va faire avec un disque. On peut changer jusqu’au dernier moment.
Le besoin d’adrénaline est toujours là ?
Je n’en ai pas besoin mais quand elle se présente, je la prends.
Le poker, c’est un peu ça ?
Je ne joue plus beaucoup, là.
La dépendance ne vous fait pas peur ?
Non, car je suis un joueur d’échecs, de bridge aussi. Je ne suis pas un joueur de hasard. Je suis en plein contrôle.
Lors de votre concert acoustique, vous parliez de ce désir d’adolescent, dans sa chambre, qui, avec son carnet gris de chansons, n’aurait jamais pensé se retrouver devant 5 000 personnes, mais qui pourtant en rêvait. Pourquoi ce rêve devient-il réalité ?
Le regard, qui reste intact, l’envie, la curiosité, la chance extraordinaire d’avoir une passion. Et quand vous avez une passion et que vous sentez que vous avez des dons, il faut les respecter.
Patrick Bruel, "Conversation avec Claude Askolovitch", Plon, 280 pp., env. 19€.