Dans le sillage de "Millénium"
La littérature scandinave, Marc de Gouvenain a commencé à y croire il y a une quarantaine d’années. Il habitait alors en Suède, pays dont il traduira plusieurs auteurs phares, dont Per Olov Enquist, Goran Tunström ou Stieg Larsson.
Publié le 18-01-2012 à 04h15 - Mis à jour le 18-01-2012 à 07h39
La littérature scandinave, Marc de Gouvenain a commencé à y croire il y a une quarantaine d’années. Il habitait alors en Suède, pays dont il traduira plusieurs auteurs phares, dont Per Olov Enquist, Goran Tunström ou Stieg Larsson. En langue française, si les ventes des deux premiers de ces écrivains ne dépassent pas les 5000 exemplaires, le phénomène "Millénium" est hors catégorie, avec 4,5 millions d’ouvrages écoulés, pour quelque 50 millions à travers le monde. Un engouement qui a rejailli sur tout le polar scandinave. Mais, pour le traducteur et ancien éditeur chez Actes Sud, "la trilogie Millénium n’a pas déclenché la vague nordique, elle l’a seulement renforcée par sa notoriété et ses tirages. Cette vague a débuté une dizaine d’années plus tôt avec des auteurs comme Jo Nesbø, Arnaldur Idridason ou Gunnar Staalesen. Chronologiquement, une base existait sur laquelle est arrivée Millénium. Stieg Larsson a élargi le lectorat de cette veine, ce dont ont profité d’autres auteurs". Henning Mankell, dont "La cinquième femme" a été traduit dès 1977 et qui, depuis, a fidélisé une large audience - notamment avec les enquêtes de l’inspecteur Kurt Wallander -, Marc de Gouvenain le place à part : "Il est lu depuis plus longtemps, et ne peut incarner à lui seul un courant". Quant à l’effet de mode, qui voit désormais chaque éditeur ou presque présenter "son" Scandinave, il n’y voit pas malice : "On pourrait dire la même chose des polars américains, qui n’ont jamais lassé. Au lecteur d’opérer son choix".
Stieg Larsson (Suède), Henning Mankell (Suède), Jo Nesbø (Norvège), Arnaldur Idridason (Islande), Camilla Läckberg (Suède), Åke Edwardson (Suède), Anne Holt (Norvège), Karin Fossum (Norvège), Gunnar Staalesen (Norvège), Leif Davidsen (Danemark), Arni Thorarinsson (Islande) : difficile aujourd’hui d’entrer dans une librairie sans tomber sur ces noms. Mais que trouve le lecteur dans leurs polars qu’il ne trouve pas ailleurs ? "Je ne suis pas sûr que l’attirance vienne d’une géographie ou d’un climat, car la plupart des polars scandinaves se déroulent en milieu urbain. Il y a sans doute un petit exotisme et, comme dans Millénium, un côté politique et sociétal très contemporain, une proximité avec les dérives de nos démocraties qui les rendent efficaces." Ce qui a altéré l’image édulcorée du modèle égalitaire scandinave que d’aucuns avaient encore. "Vue du Sud de l’Europe, cette utopie est une erreur totale. Et le rôle du polar est de s’attacher à montrer la vraie société. J’ai d’ailleurs un peu l’impression que Millénium a aussi fait découvrir le polar tout court. Beaucoup ont découvert dans ce genre considéré comme mineur une littérature qui leur parlait d’eux." Ce, alors que, selon Thierry Maricourt (in "Dictionnaire du roman policier nordique", Encrage, 2011), en Suède, Norvège, Danemark, Islande ou Finlande, "il n’y a jamais eu, comme en France, une dichotomie marquée entre la "littérature classique" et la "littérature policière". [ ] Dans les pays nordiques, la littérature policière n’est que l’une des multiples branches de la littérature, disons générale, sans jugement de valeur". Ce rayon qui, dans l’édition francophone, ne représente que 2 à 3 % de la production traduite (répartis entre la Suède en tête, puis le Danemark et la Norvège, et enfin la Finlande et l’Islande), bénéficie donc en ses terres d’origine d’une tradition de lecture et d’écriture bien ancrée.
A noter encore que pour Jens Christian Grøndhal, qui ne signe pas de polars mais est l’un des grands écrivains danois contemporains (cf. LLB du 19/03/11), l’attrait pour les lettres nordiques en général doit beaucoup à ce qu’il considère comme une singularité francophone : "Il y a chez vous une grande curiosité envers les autres cultures littéraires, ce qui, selon moi, est tout à fait unique en Europe. Les autres pays sont, je pense, plus enracinés en eux. En France, on a toujours eu la volonté de découvrir d’autres littératures".