Le roman le plus "peste" de la rentrée

La science et les savants sont à l’honneur pour cette rentrée littéraire. D’abord, avec le très beau roman “Peste et choléra” de Patrick Deville.

Guy Duplat
Le roman le plus "peste" de la rentrée
©jean-luc bertini

Un des phénomènes de cette rentrée littéraire est le nombre de livres évoquant des personnalités, et en particulier scientifiques. Comme le grand mathématicien Cédric Villani qui raconte son travail (lire ci-dessous) et Patrick Deville qui retrace la vie si romancée d’Alexandre Yersin (1863-1943).

L’écrivain français s’est fait une belle spécialité de ces récits de voyages dans l’espace et le temps, à la recherche d’un passé si exotique, avec une écriture magnifique, précise et si évocatrice. Dans "Kampuchea", son précédent roman, il expliquait le Cambodge, de sa découverte par la France aux massacres des Khmers rouges.

Deville est un grand écrivain voyageur, comme Conrad, Kipling, Jean Rolin aujourd’hui. Il voyage dans l’espace, lentement, scrutant les microdétails qui font sens, rencontrant au fil des jours des hommes et des femmes qui racontent ces pays. Il arpente aussi le temps, revenant régulièrement sur l’histoire mouvementée de la région sous les coups des colonisations occidentales, et comment l’Histoire a façonné les paysages et les habitants.

Dans "Peste et choléra", il se focalise sur la personnalité d’Alexandre Yersin, ce grand chercheur d’origine suisse, mort à Nha Trang au Vietnam. Il a pu éplucher pendant des mois les milliers de lettres qu’il envoya à sa mère et à sa sœur et qui sont pieusement conservées à l’Institut Pasteur à Paris.

Yersin a donné son nom au bacille de la peste, "Yersenia pestis", qu’il découvrit lors d’une épidémie à Hong Kong en 1894. Grâce à lui, on connaissait enfin l’origine d’une catastrophe qui avait tué des dizaines de millions d’hommes et de femmes dans l’Histoire, même s’il fallut encore attendre pour découvrir que sa transmission était l’œuvre d’une puce du rat.

Alexandre Yersin fait partie des Pasteuriens, une bande de chercheurs magnifiques formés par Pasteur et qui sillonnèrent le monde pour le sauver des maladies infectieuses. Mais Yersin ne pouvait rester en place. Il avait des "semelles de vent" comme Livingstone, son héros de médecin-explorateur, comme Rimbaud qui quitta la quiétude des ciels européens. Lui, il s’embarqua pour l’Asie, explora en Indochine des contrées inconnues, s’installa à Nha Trang, créa un sanatorium à Dalat dans la montagne. Il implanta l’hévéa au Vietnam et vendait le caoutchouc à Michelin, devenant riche pour financer ses recherches. Il cultiva la quinine pour lutter contre la malaria, il soignait gratuitement les habitants comme Schweitzer. Il inventa, avant l’heure, le Coca-Cola, il décrivit des populations des montagnes.

Une vie pleine d’aventures, d’un savant total, un voyageur curieux de tout, un médecin du monde.

Au Vietnam, son souvenir reste vivace, celui d’un "bouddha vivant". En France, on l’a trop oublié.

Patrick Deville nous le restitue merveilleusement. Yersin fut un homme de passions, mais toujours canalisées par la raison. "Les cloisons de sa raison depuis l’enfance sont étanches à la passion. Jamais, le cœur du réacteur ne franchira l’enceinte de confinement; sinon, à la moindre fêlure, ce sera la catastrophe, l’explosion, la mélancolie ou, pire encore, les foutaises de la littérature et de la peinture."

Mais Yersin sait bien pourtant "qu’on ne trouvera jamais le vaccin contre la mort des amis et que tout cela est un peu vain", fait remarquer Patrick Deville.

Patrick Deville, Peste et choléra, Seuil, 222 pp., env. : 18 euros.


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