Le roman vrai d’un génie

De l’avis de nombreux mathématiciens, Cédric Villani est un génie des maths. A 38 ans, il dirige l’Institut Poincaré à Paris, est professeur à Lyon et a obtenu toutes les récompenses, y compris en 2010, la plus prestigieuse, la médaille Fields, le Nobel des mathématiques.

Guy Duplat
Le roman vrai d’un génie
©Raymond Depardon

De l’avis de nombreux mathématiciens, Cédric Villani est un génie des maths. A 38 ans, il dirige l’Institut Poincaré à Paris, est professeur à Lyon et a obtenu toutes les récompenses, y compris en 2010, la plus prestigieuse, la médaille Fields, le Nobel des mathématiques.

Il a de plus l’art de se vendre. Il adore expliquer, tenter de rendre clair ou poétique ce qui paraît si obscur. Et on le reconnaît de loin à son look particulier : grande lavallière nouée autour du cou, gilet, montre gousset, boutons de manchette, longs cheveux. Un air de Franz Liszt. Les grands mathématiciens ont parfois des comportements qui nous paraissent excentriques, certains frisent la folie comme Alexandre Grothendieck cloîtré depuis des années dans un village pyrénéen ou Paul Erdös qui, après 1 500 articles scientifiques, erre à travers le monde, sans maison ni famille.

Olivier Nora, P.-D.G. de Grasset, lui a demandé de raconter, dans un journal de bord, ses mois de recherches qui l’ont mené à la médaille Fields. Le résultat, "Théorème vivant" est une manière très rare d’entrer dans la démarche et la vie quotidienne d’un grand chercheur.

Les mathématiciens forment un groupe particulier. Comme le dit Villani, ils ressemblent aux personnages des légendes arthuriennes : condamnés par un sort étrange à n’admirer le monde qu’à travers un reflet abstrait. Et le pire est qu’à chaque fois, le mathématicien tombe amoureux de ce reflet.

Pour Villani, c’est la physique statistique et, en particulier, la dynamique des fluides (équation de Boltzmann) et son outil, les équations aux dérivées partielles. Dans son livre, Villani multiplie les incises bienvenues où il explique les grands noms des mathématiques et quelques-uns des problèmes qui, depuis des décennies, résistent aux chercheurs, même si leurs énoncés semblent tout simples (le problème de Syracuse). Il rend ainsi un bel hommage à cette discipline qui, souvent, opère dans la solitude apparente, loin des médias et du grand public, mais avec, pourtant, l’objectif d’aider les physiciens à comprendre le monde.

Le sujet dont parle le livre, et qui lui valut la médaille Fields, est "l’amortissement de Landau" ou comment les inhomogénéités d’étoiles dans une galaxie (ou d’atomes dans un gaz) peuvent spontanément s’atténuer. Le livre rapporte ses recherches obstinées, ses coups de blues, ses espoirs soudains, avec son complice Clément Mouhot.

Villani cite Darwin : "Un mathématicien est comme un aveugle dans une pièce noire, cherchant à voir son chat noir qui n’est peut-être pas là." Et il ajoute : "Cela n’a pas de prix, cette émotion quotidienne, cette obscurité chargée de sentiments intenses, mais comme on se sent bien quand on l’a passée."

Il voyage de ville en ville, d’unif en unif, accompagné de sa femme et de ses enfants. Il réfléchit parfois la nuit, dans le noir, observant les lucioles, ou alors, il écoute de la musique, Prokofiev comme Bob Dylan, mais sa chanteuse préférée est Catherine Ribeiro. "Mélange de bonheur et de douleur dans la recherche, plaisir de se sentir vivant qu’accompagne si bien la musique débordant de passion."

Certes, quand il explique davantage ses recherches, ça plane à des hauteurs stratosphériques, mais même ces nombreux passages inaccessibles ont une poésie de l’inconnu, cette beauté qu’on retrouve chez Rimbaud ou Mallarmé ou en voyageant dans des pays aux langues étrangères pleines de mélodies secrètes.

Cédric Villani, Théorème vivant, Grasset, pp. 282, env. : 19 euros.


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