Les confessions de Tobie Nathan

Né au Caire, qu’il dut fuir lors de la crise de Suez en 1956 sous la présidence nationaliste de Nasser, Tobie Nathan (novembre 1948) vint trouver - via l’Italie - l’asile en France, dans l’humble cité de Gennevilliers.

Éric de Bellefroid
Les confessions de Tobie Nathan
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Né au Caire, qu’il dut fuir lors de la crise de Suez en 1956 sous la présidence nationaliste de Nasser, Tobie Nathan (novembre 1948) vint trouver - via l’Italie - l’asile en France, dans l’humble cité de Gennevilliers. Mais il n’a pas perdu en chemin une seule miette d’une "judéité arabe" qui en aura fait un prince de la diaspora, l’un de ces savants les plus éminemment cosmopolites de notre époque. "Exilé, je l’étais sans doute; mon Ithaque, je ne la connaissais pas; je me vivais seulement Ulysse en errance."

En 1968, il eut bientôt vingt ans quand, sur Paris puis la France entière, souffla l’haleine des grands soirs d’un printemps torride. Une révolution anarcho-romantique dans un premier temps, dont le dessein n’était pas tant de prendre le pouvoir que de changer les institutions. Entre Nanterre et la Sorbonne, Tobie Nathan chevauchait les rues à bord de sa vieille 2 CV.

Le jeune immigré d’alors, un temps situationniste à la façon de Raoul Vaneigem, communiste de cœur, n’inclinait guère cependant pour les violentes dérives qui suivirent. Plus préoccupé en définitive par les diatribes qui entouraient le séminaire néo-freudien de Jacques Lacan, et fasciné déjà par l’enseignement de Georges Devereux, son maître et directeur de thèse, Juif hongrois d’origine ne voulant plus trop le savoir, qui avait beaucoup voyagé en Asie et qui installait le courant ethnopsychiatrique à l’Université.

Il demeure que l’étudiant en psychologie aspirait de toutes ses forces à devenir psychanalyste et professeur. Vint le jour du reste où il alla s’allonger sur le divan pour cinq ans, trois fois par semaine. Tout cela avec le maigre salaire qu’il percevait alors, tandis qu’il pratiquait des séances de psychothérapie à domicile, auprès des "vraies personnes", et poursuivait des recherches assidues sur les communautés sexuelles. Car Tobie Nathan, marié à 20 ans, aimait déjà passionnément l’amour, les femmes, le sexe.

Dans le sublime foisonnement de cet "Ethno-Roman", qui relèverait plus en vérité d’une autobiographie intellectuelle et généalogique, on reconnaîtra l’influence particulièrement prégnante des guérisseurs de la folie rencontrés de par le monde, et plus singulièrement en Afrique. Mais aussi, au milieu des orages qui s’abattent sur la psychanalyse depuis plusieurs années, l’auteur apporte au débat un jugement nuancé, non sans poser des questions délicates qui ne plaident pas toujours, il est vrai, en faveur de la cure et de la légitimité de l’analyste.

Proche du Dr Ostaptzeff, son véritable initiateur en clinique, qui "avait connu les asiles psychiatriques d’après guerre, les fous avant les médicaments modernes, le grand enfermement, comme l’appelait Michel Foucault", et qui ne "croyait pas aux vertus de la psychanalyse en un temps où tous les praticiens de la psychiatrie la brandissaient comme fétiche", Tobie Nathan finit par lui donner raison, et par s’interroger sérieusement sur "le marché de la guérison".

Toujours soucieux et respectueux de la thématique identitaire, l’intellectuel remonte volontiers à ses racines rabbiniques. Mais en prenant quelques distances avec la prière contrainte - aimer Dieu, oui; le craindre, non. Il postule de surcroît qu’on ne naît pas religieux, la foi ne pouvant guère affleurer qu’au fil d’un long cheminement. C’est une fière leçon que nous administre ce grand ambassadeur de l’ethnopsychiatrie, dans un livre enluminé, d’une chaude humanité, peuplé de grands esprits, y compris ceux des morts qui continuent de planer au-dessus de nous.

Ethno-Roman Tobie Nathan Grasset 380 pp., env. 19,50 €

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