Hermann Hesse, individualiste rebelle
François Mathieu nous donne une exemplaire biographie de l’écrivain. Dont la popularité doit beaucoup aux jeunes révoltés des années 60.
- Publié le 24-09-2012 à 04h16
- Mis à jour le 24-09-2012 à 08h04
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Le renouveau de la littérature allemande à la fin du XIXe siècle débuta par la poésie grâce à Stefan George (1868-1933), dont "Hymnen" en 1890 portait la marque du symbolisme qu’il avait découvert à Paris chez Mallarmé. Hofmannsthal et Rilke suivirent. Au théâtre, Frank Wedekind (1864-1918) publia, toujours en 1890, "L’Eveil du Printemps", une pièce sur le tourment des adolescents dans une société autoritaire et coincée, dont l’outrance et la cruauté ouvrirent la voie à l’expressionnisme. Le tournant dans le roman vint avec Heinrich Mann (1897), Thomas Mann (1898) et Hermann Hesse (1899).
La célébrité de ce dernier resta longtemps confinée aux lecteurs de langue allemande. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’elle s’étendit au monde entier, grâce notamment à son prix Nobel de littérature en 1946. Mais, surtout, à la découverte de "Siddartha, une fiction indienne" (1922), "Le Loup des steppes" (1927), "Narcisse et Goldmund" (1930), "Le Jeu des boules de verre" (1943) par les hippies américains et toute une jeunesse occidentale révoltée contre le matérialisme, le consumérisme et le conformisme du monde dans lequel elle vivait. Dès 1955, Colin Wilson, un des "Angry Young Men" anglais, avait proclamé Hesse "l’outsider romantique" par excellence. Plus tard, David Bowie le citera à plusieurs reprises, tandis qu’un groupe rock canadien installé en Californie s’intitulera "Le Loup des steppes" et créera pour le film "Easy Rider" le tube "Born to be wild" - tout un programme.
Pour le cinquantième anniversaire de sa mort, François Mathieu publie une monumentale biographie qui suit pas à pas le déroulement de ses jours et l’éclosion de ses livres. Son exemplaire enquête à travers les vingt volumes de ses "Œuvres complètes" et les quatre de sa "Correspondance" nous raconte un écrivain qui, dès l’âge de douze ans, voulait être poète ou rien.
Hermann Hesse naquit, le 2 juillet 1877, à Calw, petite ville du pays souabe, au nord de la Forêt Noire. Enfance difficile dans un milieu étouffant : son père Johannes, pasteur évangélique et piétiste, avait épousé la fille d’un missionnaire protestant en Inde, devenue veuve d’un missionnaire anglais dont elle avait deux fils, et travaillait dans la maison d’édition protestante de son beau-père. Très tôt, le petit Hermann rua dans les brancards. Il écrit ses premiers poèmes à dix ans, mais les années suivantes seront marquées par des crises de dépression, une fuite du séminaire où on l’avait placé, des séances d’exorcisme pour le délivrer de ses démons, son envoi dans une institution pour épileptiques et malades mentaux, une tentative de suicide, l’arrêt de ses études un an avant le baccalauréat, son entrée comme apprenti mécanicien dans une fabrique d’horlogerie mécanique, puis comme apprenti chez un libraire de Tubingen. En 1899, il part travailler chez un libraire de Bâle, il y approfondit sa culture d’autodidacte, et publie à ses frais un recueil de textes qui retient l’attention du grand éditeur Samuel Fischer à Berlin. En 1904, "Peter Camenzind" paraît chez ce dernier. Son relatif succès lui met le pied à l’étrier d’une vie dorénavant exclusivement consacrée à la littérature.
Une vie pas sereine pour autant. En 1904, Hesse épouse Maria Bernouilli, qui a douze ans de plus que lui et lui donne trois fils, mais leurs relations se dégradèrent inexorablement, d’autant qu’elle souffrit bientôt de schizophrénie. En 1919, il se sépara d’elle, lui laissant les enfants, et s’installa à Montagnola, dans le Tessin. Souvent dépressif lui-même, il entreprit une psychothérapie chez un disciple de Jung (1916), plus tard chez Jung lui-même. En 1924, il épousa une femme de 20 ans sa cadette, qui demanda le divorce trois ans plus tard. Il se remariera en 1933, cette fois définitivement, avec une juive autrichienne, Ninon Dolbin, faisant avec elle appartement séparé.
Débute alors une existence plus apaisée, vouée à l’écriture et au jardinage dans le paysage enchanteur du Tessin. Seulement interrompue par son accueil d’exilés fuyant l’Allemagne nazie et, après 1945, par son assistance à des Allemands dans la misère. La consécration lui vint avec le prix Nobel, le prix Goethe de la ville de Francfort, le doctorat honoris causa de l’université de Berne, l’amitié de Gide et de Thomas Mann. Mais la maladie le rongeait : rhumatisme, polyarthrite, cécité croissante. Il mourut d’une attaque cérébrale, le 9 août 1962.
De toutes ses souffrances, aspirations, interrogations, révoltes, Hesse a tiré une œuvre dont François Mathieu écrit qu’elle est "une représentation de soi, une auto-analyse, une explication de soi". Bref, il fut la matière de son œuvre. Un moment capital fut sa découverte, vers 1920, de la pensée de Jung, qui refusait de voir dans la libido un caractère exclusivement sexuel. Il en conclut que l’homme devait accepter les forces du chaos en lui, l’animal, voire le criminel, tout en les équilibrant avec le désir de pureté, de transfiguration, d’altruisme, à défaut de quoi il ne serait qu’un "ange castré".
La ligne de force de son œuvre pourrait se résumer par ces mots tirés du "Jeu des perles de verre" : "Il ne te faut pas aspirer à une doctrine parfaite, mais à l’accomplissement de toi-même. La divinité est en toi, pas dans les idées ou dans les livres".
Hermann Hesse, poète ou rien François Mathieu Calmann-Lévy 544 pp., env. 25 €
Une bibliothèque idéale Hermann Hesse traduit de l’allemand par Nicolas Waquet Rivages poche/Petite Bibliothèque 140 pp., env. 7 €