Le Cercle des Spectres
Un troublant cauchemar, illustré avec maestria par François Deflandre. Et une remarquable exposition à Bruxelles sur les coulisses de l’œuvre.
Publié le 12-11-2012 à 14h03
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Quand parut "Le Sang des Automates" aux Editions Points Images (cf. LLB du 9 janvier 1998), l’attention fut instantanément éveillée par l’originalité graphique de cet album, premier de son auteur né à Bruxelles en 1961. Il fallut pourtant s’armer ensuite de patience puisque ce n’est que douze ans plus tard que François Deflandre nous livrerait "Puzzle gothique", dont nous applaudîmes la publication chez Mosquito. De ce conte fantastique à l’érotisme de fort belle eau, la pulpeuse protagoniste est une jeune Belge, Eloïse Brabant - au visage à la Eva Peron -, qui trouve un emploi de femme de chambre en Toscane dans un palais où demeurent un alchimiste et un redoutable abbé. Ce qu’Eloïse y découvrira donne la chair de poule. Aux couleurs solaires de ce "Puzzle" succèdent aujourd’hui les tonalités froides - des gris, des bleus, des grenats - du "Cercle des Spectres" où l’on retrouve Eloïse, à nouveau dans un rôle de témoin non dépourvu d’empathie. Cet album "sans tabous" confirme magistralement les qualités des deux précédents opus de François Deflandre. Aussi, en convie-t-on les lecteurs à visiter la captivante exposition qu’accueillent les romantiques salles souterraines des Halles Saint-Géry (à deux minutes à pied de la Bourse) : des planches originales, des croquis, des photos, des documents d’archives permettent de parcourir les coulisses de l’œuvre d’un créateur perfectionniste, doué pour nous plonger dans des "cauchemars", comme s’y entendait le génial Alfred Hitchcock de "Psycho" et de "Vertigo". Engagée pour veiller (ange gardien, en quelque sorte) sur une jeune soi-disant schizophrène, Eloïse lève le voile sur le traumatisant passé de Kate, survivante de l’incendie d’un collège que dirigeait d’une main d’acier - mais sans doute caressante à ses heures - une femme perverse dont dix-sept élèves périront dans les flammes, allégorie de l’enfer. Pas un seul homme n’apparaît dans cette histoire qui provoque le malaise et que teinte un érotisme tantôt suggéré, tantôt explicite. Saluons, cette fois encore, l’utilisation directe par François Deflandre de crayons de couleurs hauts de gamme, sur un carton légèrement grainé, de teinte "crépuscule", de Canson. A la fois dessinateur, scénariste et coloriste, François Deflandre tient son lecteur en haleine dans cet album aux accents proprement inquiétants. Récit qui se rapproche, bien entendu, de l’univers glacé/ardent de "Jeunes filles en uniformes", film culte réalisé en 1931 par Leontine Sagan, supervisé par Carl Froelich, tiré de la pièce de Christa Winsloe et dont, en 1958, Geza Radvanyi mit en scène un frémissant remake avec Romy Schneider, Lilli Palmer y étant la belle institutrice dont Manuela s’éprend. Deux ans après "Puzzle gothique", on se félicite de retrouver l’héroïne de François Deflandre dans cet album qui nous entraîne au cœur des ruines calcinées d’un Saint Jane’s Ladies College calqué, à n’en douter, sur de vénéneux établissements d’il y a quelques décennies, en Grande-Bretagne ou en Irlande; ailleurs aussi, peut-être. Saluons surtout les qualités plastiques de ce récit angoissant, aux planches dont les bords des cases ne sont jamais rectilignes, ou rarissimement, comme pour accentuer la sensualité d’images s’envolant d’un rêve à noirs nuages - qui tôt vire à l’effroi. Quant à la fin "ouverte", libre cours laisse-t-elle à l’imagination en son volet silencieusement sulfureux.
Le Cercle des Spectres François Deflandre Mosquito (1ter rue des Sablons, 38120 Saint-Egrève) 48 pages en couleurs, env. 13 €
Exposition aux Halles Saint-Géry (place St-Géry, 1000 Bruxelles), jusqu’au 21 décembre 2012, tous les jours de 10 à 18 heures. Entrée gratuite. Site de l’artiste : www.francoisdeflandre.com