Tom Lanoye : De Wever et sa revanche contre les artistes et la gauche
Cet artiste anversois est l'un des auteurs les plus lus et les plus primés en Flandre. Il livre un regard sans concession sur les flamingants et la politique menée par Bart De Wever. Il dénonce aussi les barrières, en matière culturelle, entre francophones et Flamands. Tom Lanoye est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
- Publié le 03-08-2013 à 11h40
- Mis à jour le 20-10-2013 à 09h14
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Cet artiste anversois est l'un des auteurs les plus lus et les plus primés en Flandre, aux Pays-Bas et en Allemagne. Il livre un regard sans concession sur les flamingants et la politique menée par Bart De Wever. Il dénonce également les barrières, en matière culturelle, entre francophones et Flamands. Tom Lanoye est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Comment vivez-vous, en tant qu'artiste, ces premiers mois sous le mayorat de Bart De Wever à Anvers ? Je constate des coupes et des diminutions de subventions, notamment pour des compagnies de théâtre. Je m'y attendais mais je suspecte que ce ne soit que le début. Je n'ai pas grand espoir que cela s'améliore. Dans le même temps, les subventions pour la fête des nationalistes flamingants ont augmenté considérablement. Quand tout le monde doit se serrer la ceinture, c'est quand même grave. Au moins, on voit où sont les priorités. Mais je crains que l'image d'Anvers, et même au-delà, soit écornée.
Son élection a donc bien des répercussions sur la culture anversoise ?
Oui, les diminutions des subsides des programmes sociaux et culturels s'en ressentent. La chose la plus honteuse : le groupe de théâtre Tutti Fratelli, qui implique des gens assez pauvres, s'est vu couper toutes ses subventions alors qu'il ne bénéficiait que de 7000 euros. J'ai l'impression qu'il s'agit d'une sorte de revanche vis-à-vis de nombreux artistes et des personnes de gauche. C'était attendu. Mais à Anvers, il y a pire : Bart De Wever est un bourgmestre "part time". Il a quatre fonctions : président et symbole du plus grand parti de Belgique, parlementaire flamand, sénateur de communauté et bourgmestre.
C'est trop à vos yeux ?
Pour tout réussir, il faut être un messie. Pourtant Anvers a le droit d'avoir un bourgmestre à temps plein. Même le Premier échevin CD&V le dit. Bart De Wever admet lui-même qu'il est épuisé, pressé comme un citron, après six mois à peine. Cependant, il reste. Du coup, la ville n'est pas gérée comme elle le devrait. Il se sert d'Anvers comme d'un instrument de politique fédérale, pour sa future campagne. Ca donne une gouvernance trop amateure et trop populiste à Anvers, c'est inévitable.
30% des Flamands se disent prêts à voter pour la N-VA en 2014. Vous comprenez leur choix ?
Non, car ce n'est pas la voie que je suis. Il y a de l'hypocrisie dans le chef de la N-VA. Ce parti veut la fin de la Belgique mais ne parvient ni à le dire clairement ni à expliquer comment la réaliser. Il évoque le confédéralisme. Cette propagande a l'air géniale mais personne - pas même eux! - ne sait ce que cela signifie. Je ne suis pas pour mais si, démocratiquement, on parvient à la scission de la Belgique, il faudra le faire. Mais dans ce cas, la Flandre va perdre sur le plan économique. Elle va aussi perdre Bruxelles. Pourquoi perdre Bruxelles ? C'est le Washington de l'Europe et surtout la ville qui donne plus de poids à tous les Belges. Je serais déçu par une République flamande.
En 2000, vous aviez rejoint les rangs d'Agalev (ex-Groen) pour rapidement les quitter. Pourquoi ?
Beaucoup d'écrivains flamands ont figuré sur des listes dans un rôle symbolique. Je n'en ai pas honte et je n'ai pas de regret. C'était très instructif et cela a renforcé ma fascination pour les politiciens de talent. C'est un boulot difficile. Je suis trop individualiste pour faire de la politique. Le rôle que je pourrais jouer en politique ne sera jamais aussi grand que mon rôle d'artiste engagé. Car l'artiste cherche la confrontation alors que le politicien doit davantage trouver des compromis. Tous les nationalistes flamands savent que le mouvement flamand, à ses débuts, était soutenu par les artistes. Aujourd'hui, presque tous les artistes flamands ne sont plus d'accord avec les flamingants. C'est dur pour ces derniers. Voilà pourquoi leur sentiment de revanche envers les artistes est si grand.
Il a fallu beaucoup de temps mais vos livres sont maintenant traduits en français. Enfin ?
C'est le sentiment qui m'anime. Si ça a duré si longtemps, c'est le résultat de la situation politique en Flandre. C'est vraiment dingue que pour être un artiste flamand, on doive être néerlandophone. Sinon, pour un flamingant, ça ne passe pas. Pourtant, un artiste comme Jacques Brel est un Flamand qui a chanté en français. Il a fallu beaucoup de temps mais nous avons maintenant des accords entre la ministre flamande de la Culture, Joke Schauvliege, et la francophone, Fadila Laanan. Elles parlent ensemble de Cannes, d'Avignon,... mais pas de projets en Belgique...
Comment tisser davantage de liens entre communautés ?
Peut-être devrait-on créer une fondation pour traduire les livres dans les deux langues ou organiser des événements avec un nombre minimum de représentations provenant des autres régions ? On doit évidemment d'abord avoir l'envie de le faire. Pourquoi nier les liens plutôt que les renforcer ? Ces liens sont plus grands que les différences. Je suis la preuve que c'est possible : j'ai des lecteurs, des invitations au sud du pays. Je suis par exemple très fier d’être invité au Théâtre de Namur, pour le tout nouveau Intime Festival, et de pouvoir y rencontrer un de mes grands compatriotes, Benoit Poelvoorde, et d'échanger avec lui. Le drame à la belge, c'est qu'on ne se connait presque pas des deux côtés de la frontière linguistique. Mais elle a été créée, entre autres, pour cela.
Vous vous considérez comme un artiste belge, flamand, anversois ou rien de tout cela ?
Je trouve toujours fou qu'on pose cette question. Pourquoi choisir ? C'est une maladie qui frappe l'Europe et qui s'appelle le nationalisme. Je ne peux pas me couper en différents morceaux. Je resterai toujours belge tout en étant déjà flamand. Je n'ai pas besoin de la disparition ou de la scission de la Belgique pour être davantage flamand. Certains estiment qu'il faut l'éclatement du pays pour qu'ils puissent véritablement se sentir flamands. Mais c'est faux. On l'a vu avec l'accession au trône de Philippe : la N-VA était dans une situation inconfortable car son électorat ne choisira pas la fin de la monarchie. Moi, je suis républicain belge. Pour moi, le président et le vice-président devraient être choisis par les Belges. Finalement, on votera ensemble !
Vous enchaînez les prix et les hit-parade en Flandre. Mais votre livre "Les boites en carton" atteint aussi le top 10 littéraire en Belgique francophone en 2013. Une fierté ?
Oui, évidemment. C'est déjà un vieux livre, publié en Flandre en 1992. Et aujourd'hui, 20 ans plus tard, avec ce même livre, je suis un des nominés au prix européen Jean Monnet qui récompense un ouvrage en français. Ça a donc ouvert des portes, notamment en France. Cela permet aussi qu'une de mes nouvelles paraisse en octobre en français : "Tombé du Ciel". J'ai l’impression que ce n'est que le début.
Quel regard portez-vous sur ce que vous faites ? Dans "La Langue de ma mère", vous parlez de "pleutrerie", d'un "leurre qui ne trompe personne". Simple mise en scène ou réel recul par rapport à votre oeuvre ?
(rires) Tout est toujours mis en scène. Ce qui me semble étrange, c'est que sur mes 50 œuvres, les seules qui sont traduites en français sont celles autobiographiques. Pour les francophones, je suis donc un auteur autobiographique. D'ailleurs, que le mot "langue" soit incorporé dans le tire d'un livre d'un auteur flamand traduit en français, c'est déjà tout un programme !
Sur scène, il vous arrive de jouer dans les deux langues. Peut-on parler d'un "acte politique" ?
Chaque fois que je fais une représentation moi-même en français, cela a ce caractère. Que mes pièces de théâtre aient été jouées en néerlandais avec un sous-titrage, c'est incroyable. Cela s'oppose aux préjugés des nationalistes flamands ou aux francophones arrogants qui ne veulent pas entendre la beauté de la langue néerlandaise. J'avais eu l'occasion, grâce au Théâtre national et au KVS, de jouer une représentation en deux langues en même temps, juste une semaine avant les élections communales d'octobre. C'était un vrai message que nous faisions passer. Mais ce message n'a pas été compris à Anvers... (rires)
Pour terminer, pouvez-vous nous en dire plus sur votre prochain livre "Tombé du ciel", qui paraîtra en octobre ?
Il s'agit d'une nouvelle sur un accident complètement fou mais oublié de l'Histoire, qui s'est déroulé durant la Guerre froide. Quelques mois avant la chute du mur de Berlin, un pilote soviétique s'est éjecté d'un avion de guerre en Pologne. L'avion n'a pas piqué immédiatement mais il s'est tourné et s'est écrasé sur une et une seule maison, près de Courtrai, ne tuant qu'un étudiant. Quel destin incroyable, quelle mort absurde ! C'est une des seules victimes de la Guerre froide. Je suis parti de cet épisode et j'en ai fait une double histoire : sur la politique militaire et sur le drame personnel vécu par une femme.
Une interview de Jonas Legge (@JonasLegge)