La ronde des amours possibles d’Eric-Emmanuel Schmitt

L’écrivain fait des perroquets la métaphore des relations humaines et sexuelles dans son nouveau roman "Les perroquets de la place d’Arezzo", un conte sociologique sur le désir et l’amour sous toutes leurs formes.

Guy Duplat

Eric-Emmanuel Schmitt, devenu belge et bruxellois de cœur encore davantage que de droit, aime flâner à Ixelles, dans le quartier Brugman. Il connaît bien une place étonnante et chic, peuplée de grands nids de perroquets d’Amazonie. À la place d’Arezzo, au bout de l’avenue Molière, se sont installés des centaines de ces oiseaux exotiques qui y ont fait souche. La légende dit qu’un ambassadeur du Brésil aurait ouvert la cage de ses perroquets avant de partir. Chaque soir, ces volatiles beaux et bruyants survolent le ciel bruxellois avec de grands cris stridents.
Ils forment de grandes colonies avec leurs conflits, leurs amours, leurs couleurs mêlées. L’écrivain en a fait la métaphore des relations humaines et sexuelles dans son nouveau roman "Les perroquets de la place d’Arezzo", un conte sociologique sur le désir et l’amour sous toutes leurs formes. Un roman de 730 pages certes, mais qui se lit très facilement. Le perroquet fut toujours dans l’art, un motif lié à l’érotisme, qu’on songe à "La femme au perroquet" de Courbet annonçant "L’Origine du monde".

E.E. Schmitt imagine tous les habitants autour de la place, entraînés dans une "ronde" à la manière de Schnitzler. Les désirs des uns se liant à ceux des autres. Une même lettre anonyme glissée dans toutes les boîtes suffit à mettre le feu aux poudres. On y lit : "Ce mot simplement pour te signaler que je t’aime. Signé : tu sais qui."

Autour de la place aux perroquets, on rencontre le brillant commissaire européen promis à devenir Premier ministre, mais qui est le double priapique de Dominique Strauss Kahn. Il y a l’attachée de presse nymphomane, l’écrivain célèbre, le grand avocat des causes perdues, amant fougueux. Un couple noble, comme il faut, cache ses fissures, il profite de ses ballades à cheval dans la forêt de Soignes pour calmer ses ardeurs homosexuelles. Des couples sont gays, bi, tri, ou lesbiens. Tous sont riches, mais il y a quand même le beau jardinier qui vient tondre torse nu, la pelouse de la place, et la femme qui cache qu’elle a tout perdu au casino.

E.E. Schmitt fait tourner ce manège des cœurs et des corps, fait défiler le catalogue des possibles, y ajoutant la fille masochiste prête à tous les dangers, l’amour pur d’un père, le travesti qui se risque la nuit au cœur de la ville, le pédophile, etc.

On s’amuse un moment, à retrouver des lieux qu’on connaît : Ixelles, Bruxelles, la forêt, l’école Decroly, etc. Et on se surprend à mettre des noms connus sur ceux des personnages.

La morale est bien simple : c’est le désir qui nous tient debout, mais c’est aussi le désir qui nous ravage. Les bouddhistes ont choisi de se sortir de ce dilemme en supprimant le désir.

E.E. Schmitt met même en scène un écrivain qui dans un jeu de mise en abîme, s’exclame : "la vie se montre plus inventive que n’importe quel auteur".

Si le roman est amusant, il est aussi léger et caricatural. Les personnages n’ont pas de grande épaisseur psychologique, ils sont là pour incarner une variation dans la "Ronde". Ces "perroquets" sont plus un divertissement, un feuilleton, que de la grande littérature, mais ils feront passser un moment agréable à réfléchir aux promesses et aux ravages du désir.

  • Les perroquets de la place d’Arezzo, Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 730 pp, env. : 24 euros, parution le 21 août

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