Quand la vengeance est justice

Fier héraut des Amérindiens, Louise Erdrich a reçu le National Book Award pour "Dans le silence du vent". Un opus marqué au fer par un sentiment de perte et une farouche détermination à changer les choses.

Simon Geneviève

Comme "La malédiction des colombes" avant lui, "Dans le silence du vent" ("The Round House") de Louise Erdrich interroge avec acuité la notion de justice telle qu’elle est rendue à l’encontre des Amérindiens. Cette question trouvant trop souvent une réponse inappropriée, la romancière américaine, fille d’une Ojibwé, a choisi de donner la voix à Joe, un adolescent de treize ans qui va voir sa vie basculer après le viol de sa mère. Ce petit-fils de Mooshum (apparu dans "La malédiction des colombes" et désormais très vieux), appartenant à la lignée des Coutts, qui se sont toujours distingués en épousant des femmes plus intelligentes qu’eux, vit dans une réserve indienne du Dakota du Nord. Il est le fils d’un juge au tribunal tribal - qui sait que le procureur fédéral refuse souvent de porter les affaires de viol d’Indiens devant la justice - et d’une spécialiste des appartenances tribales - qui connaît les secrets de tous. Mieux que quiconque, tous deux savent que le crime qui les a anéantis risque de rester impuni. D’autant que les poursuites dépendent d’abord de l’endroit (terre tribale, espace privé blanc ou propriété de l’Etat) où les faits ont été commis. Et qu’en l’espèce, le flou est de mise.

"Elle s’était éloignée en flottant, de sorte que nous ne savions comment la récupérer." Face à la souffrance indicible de sa mère, au sombre désarroi de son père, Joe décide de mener sa propre enquête. Il sait qu’il peut compter sur l’amitié de Cappy, Zack et Angus pour l’épauler. Dans la réserve, le malaise est palpable. L’on ne sait si le coupable est indien ou blanc. L’on peine à trouver les mots pour parler du malheur d’une femme appréciée. Joe, lui, voit sa détermination s’affirmer et il devient bientôt question pour lui de rendre justice à sa manière, ce que d’autres nomment vengeance. Et si, dans ce contexte particulier, un acte condamnable pouvait servir une justice idéale, interroge l’auteur de "La chorale des maîtres bouchers" et de "Love Medecine" ?

On reconnaît à Louise Erdrich une détermination farouche à changer les mentalités et les choses, au-delà du témoignage que ses romans apportent pierre après pierre. Elle en fait montre plus que jamais avec un roman à la trame savante, aux personnages (y compris secondaires) justement campés, à l’écriture fluide et décidée. National Book Award 2012, "Dans le silence du vent" résonne au-delà des mots.

Geneviève Simon

Dans le silence du vent Louise Erdrich traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez Albin Michel 462 pp., env. 22,50 €

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