Iphigénie et l’océan

"La solitude du papillon", un beau premier roman de Laurence Bertels. Les mots justes pour les changements de cap d’une mère et d’une fille.

Guy Duplat
Iphigénie et l’océan

La solitude du papillon" est le premier roman de Laurence Bertels. Un beau roman, qui sonne juste, qui parle de la vie, de ses joies et frustrations, des femmes, avec toujours une part de mystère et de suspense qui sont les secrets d’un roman réussi. L’auteure est journaliste culturel à "La Libre Belgique". Nos lecteurs connaissent sa plume quand elle parle de cirque contemporain, de théâtre et littérature jeune public et d’autres sujets dont son enthousiasme s’empare.

Dans "La solitude du papillon", elle livre en apparence des tranches de vies puisées à ce qu’elle a vu et entendu autour d’elle, même si l’histoire se déroule à Paris et en Normandie. En apparence car, derrière chacun, il y a toujours ce "misérable petit tas de secrets" dont parlait Malraux. C’est d’abord la crise de la femme de 45 ans qui cherche à être - enfin - "fidèle à soi" malgré toutes les difficultés à changer le cap de sa vie et à arrêter "de s’accommoder d’une situation peu enviable par confort, habitude, raison ou sagesse", écrit-elle. Une femme confrontée aux questions de sa fille adolescente avec, déjà, ses espoirs et désillusions. Questions aussi sur les rapports mère-fille, sur l’avenir de son couple, sur sa propre sexualité. Avec l’océan qui l’attire comme un horizon possible et avec la littérature qui la nourrit (Laurence Bertels cite "Madame Bovary", Stefan Zweig et sa nouvelle "Brûlant secret", Racine).

Longtemps, l’auteure a suivi, comme journaliste, les questions de psychologie. Cela l’a certainement aidée à trouver le ton exact dans les scènes difficiles de crise ou de rupture.

Isabelle est au centre du roman. Une bourgeoise, mariée, trois enfants. Laurence Bertels l’évoque par phrases courtes, au présent. Si pour son entourage, Isabelle a sans doute une vie lisse en technicolor, elle a ses failles et ses blessures qu’elle a dû toujours surmonter et que Laurence Bertels évoque par petites touches, avec pudeur et sans pathos : les brimades à l’école, la naissance d’un fils handicapé, les infidélités du mari. Elle étouffe et ne retrouve de l’air que dans sa maison envahie de fleurs sauvages, au bord de la mer, à Veules-les-Roses, en Normandie. Ce sont ces zones d’ombre qui donnent la profondeur au roman et l’envie de le lire d’une traite.

En alternance, le roman s’intéresse à sa fille Clara, frappée par un drame : sa meilleure amie de lycée, Camille, est morte à la montagne dans une avalanche. Clara est de son temps et communique par e-mails, mais ses émois sont de tout temps et résonnent avec ceux de sa mère.

La mort de Camille va servir de catalyseur, comme on dit des réactions chimiques qui s’emballent. Elle va précipiter les choses dans ce monde trop superficiel, casser les non-dits, ressusciter le passé. Les drames sont souvent plus fertiles que les bonheurs dans l’existence et certainement dans les romans. Ce travail douloureux amènera des surprises qui donnent le rythme du livre.

Le théâtre agit dans ce roman comme une possibilité de vivre sa vie. Si la mère trouve son horizon à l’océan, Clara le cherche dans Racine. Camille devait jouer Iphigénie à l’école et Clara la remplace. Iphigénie est celle qui accepte de se sacrifier pour son père, afin que les dieux, apaisés par le sacrifice, fassent à nouveau souffler les vents et portent l’armée grecque d’Agamemnon à Troie. Jouer Iphigénie donnera l’occasion à Clara de faire le deuil et de croire à l’amour. Le cercle tourne, de la mère à la fille. Et l’océan seul reste identique.

Guy Duplat

La solitude du papillon Laurence Bertels Luce Wilquin 226 pp., env. 20 €

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