Une mère qui fut aussi muse
Richard Russo retrace l’histoire de sa mère, indissociable de la sienne.
Publié le 16-09-2013 à 05h40 - Mis à jour le 16-09-2013 à 16h27
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Elle s’appelait Jean. Elle avait du tempérament, des rêves de grandeur, la volonté farouche de faire son chemin seule dans un monde d’hommes, mais était aussi dépressive et maniaque (on ne parlait pas encore de TOC - troubles obsessionnels compulsifs). Jean était la mère de Richard Russo. Dans un récit sans fard mais touchant et particulièrement intime, le lauréat du prix Pulitzer 2002 (pour "Le déclin de l’empire Whiting") conte le lien exclusif qui l’unissait à sa mère. Tôt abandonnée par son mari, Jean a élevé seule Richard, "Ricko-Mio", dans une promiscuité délicate avec ses parents puisque mère et fils habitaient un appartement de leur maison de Gloversville, dans l’état de New York. L’indépendance chère à Jean y subit plus d’une entorse, bien malgré sa détermination.
L’été 1967, Jean et Richard embarquent à bord d’une vieille voiture pour rallier Tucson, à près de 4000 km de là, une distance avalée non sans crainte par Richard, conducteur alors non aguerri. Car pour Jean, il était impensable d’être séparée de son fils. "Tout ira bien tant que nous sommes ensemble" : ce mantra sera sien jusqu’à son dernier souffle. Ainsi, quelles que soient les affectations de Richard, devenu entre-temps professeur d’université, et malgré les entraves que représente sa présence encombrante dans la vie d’un homme désormais mari et bientôt père, Jean vivra toujours à proximité de son fils et leurs contacts seront quasi quotidiens.
Retraçant leur relation fusionnelle, Richard Russo s’autorise à accepter la part de leur histoire commune qui lui revient. Et n’oublie pas de saluer celle qui, le soir venu, trompait sa fatigue dans la lecture. "C’était grâce à ma mère que j’avais appris que lire n’était pas un devoir, mais une récompense, grâce à elle que j’ai eu l’intuition d’une vérité essentielle : la plupart des gens sont enfermés dans une existence solitaire, une vie restreinte par le manque et l’absence d’imagination; des limites que ne connaissent pas les lecteurs."
Enfin, il y a le legs de cette mère qui n’eut de cesse de quitter Gloversville pour mieux y revenir, dans un va-et-vient teinté d’amour-haine, quand l’ailleurs rêvé se révélait inaccessible. Après des débuts peu satisfaisants (de son propre aveu), Richard Russo a compris que, pour être écrivain, il devait revenir d’où il était parti. C’est ce qu’il fit en créant la ville imaginaire d’Empire Falls d’abord, celle de Mohawk ensuite. R. R. aurait pu être un ouvrier dont le seul horizon eût été une petite ville en déliquescence de l’arrière-pays new-yorkais et être heureux. Il est devenu l’écrivain qui donne notamment voix à ceux dont le labeur pénible et dangereux y a écourté l’existence. Avec le talent que l’on sait.
Geneviève Simon
Ailleurs Richard Russo traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch La Table Ronde 272 pp., env. 21 €