L’étrange légèreté de Véronique Ovaldé
"Il y a une certaine grâce chez les perdants, les plagiaires et les brigands."
Publié le 23-09-2013 à 05h39 - Mis à jour le 23-09-2013 à 10h04
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Véronique Ovaldé est une romancière atypique qui dose avec une science d’alchimiste fantaisie et gravité, y ajoutant quelques ingrédients d’une inspiration en constante effervescence. Au talent de raconter des histoires toujours un peu décalées et souvent farfelues, elle a celui de créer des ambiances en quelques traits pertinents. Ses livres séduisent par leur verve, leur étrangeté, une légèreté qui en fait le charme, un style jouissif et un regard qui, sans jamais peser, surfe sur les petites ou grandes tragédies individuelles et jongle avec les ombres et les lumières du cœur humain. Avec "La grâce des brigands", son dernier roman au titre à peine plus explicite que la photo de couverture, elle semble avoir grandi et joue moins la surcharge. Prenant un recul certain par rapport aux débordements de son univers romanesque habituel, elle incline vers plus de sobriété, voire de réalisme, et y gagne en assurance.
Dans un livre à l’intérieur du roman, une mystérieuse biographe évoque, selon ce qu’elle en a perçu et au travers d’un long - trop long - retour en arrière, le parcours d’une femme haute en couleur et en voix, pourvue de séduction autant que de contradiction, forte en dépit de sa vulnérabilité et de ses doutes sur elle-même. Maria Cristina Väätonen a grandi dans un village de brumes et de forêts entre une mère bigote étouffante qui la méprise, un père indéchiffrable et taciturne mais qui l’aime, une sœur envieuse qu’une chute à l’adolescence a mentalement perturbée. La jeune fille, jolie et intelligente, rêve, bien évidemment, d’un autre destin que celui qui l’attend dans ce Lapérouse d’enfance et, à seize ans avec la complicité paternelle, s’enfuit en quête d’indépendance.
Dans le climat siliconé et le milieu hippie d’un Los Angelès où "tout le monde semblait drogué, accueillant et hispanophone", elle partage un appartement avec une fille délurée qui l’aide à s’intégrer. Tandis qu’elle écrit un roman qui s’intitulera "La Vilaine Sœur", elle se découvre également un pygmalion et amant épisodique, l’écrivain Claramunt à la personnalité aussi impressionnante que la carrure qui l’appelle "Mon extravagante" ou encore "Soleil de mes nuits". Lorgnant pour lui-même le prix Nobel, ce séducteur tout de même un peu sur le retour lui ouvre les voies d’un succès dont il n’hésite pas à capturer sa part. Lorsque, après dix années de silence, sa mère intervient dans ce destin et la petite notoriété où sa fille s’épanouit, c’est pour lui annoncer que son père est mort et lui enjoindre de prendre en charge l’enfant dont sa sœur est incapable de s’occuper. Elle retourne alors vers son village, son enfance et des interrogations refoulées dans son subconscient. Que peut-elle faire et que va-t-elle faire d’un petit Peeleete de quatre ans dans sa vie indépendante et solitaire ? La fin n’est pas nécessairement celle que l’on prévoit et ne se refuse pas à une pirouette ultime, plutôt déconcertante dans le contexte : "Il y a une certaine grâce chez les perdants, les plagiaires et les brigands".
"La grâce des brigands" est un roman sur une femme en mal d’amour qui choisit la liberté plutôt que les remords et l’avenir contre le passé. Et puis, c’est peut-être aussi autre chose. Ce n’est pas, pour autant, un livre philosophique. On ne s’y prend pas la tête, même si Véronique Ovaldé s’entend à nous la bousculer ci ou là. Mais on admire la prouesse d’une romancière brillante, alerte, inventive qui a le don de faire émerger une atmosphère - pesante, exotique, baroque - et le talent de ne jamais ennuyer.
Monique Verdussen
La grâce des brigands Véronique Ovaldé Ed. de l’Olivier 285 pp., env. 29,50 €