L’entretien avec Karine Tuil

D’une plume jouissive qui emporte (malgré certains clichés trop appuyés), Karine Tuil signe avec "L’invention de nos vies" un roman contemporain en ce qui traite du culte de la réussite, cet "idéal social hallucinatoire".

Geneviève Simon

D’une plume jouissive qui emporte (malgré certains clichés trop appuyés), Karine Tuil signe avec "L’invention de nos vies" un roman contemporain en ce qui traite du culte de la réussite, cet "idéal social hallucinatoire". Sam Tahar a l’argent, l’amour, la gloire, mais sa réussite est née d’une imposture. D’origine maghrébine, il a endossé l’identité juive de son meilleur ami, Samuel. Il y a vingt ans, Nina a choisi Samuel. Mais si c’était à refaire ?

Vous explorez à nouveau le thème de l’identité. Pourquoi ? 
Joseph Brodsky a écrit : "Mon premier mensonge avait un rapport avec mon identité". J’ai eu la même approche. J’ai été élevée par des parents juifs d’Afrique du Nord, émigrés, qui cherchaient plutôt à dissimuler leur identité, en tout cas à ne pas la revendiquer. Il y a toujours eu une ambiguïté, une forte complexité avec mon identité que j’ai mis du temps à affirmer. La littérature (Philip Roth, Saul Bellow, Jonathan Safran Foer, Nicole Kraus) m’a permis d’aborder cette question. 
"Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir", dit un proverbe yiddish. 
Au départ, ce n’est pas un mensonge, mais un quiproquo. Changer deux lettres de son prénom, cela arrive. Puis il s’est dit : je vais voir ce que cela donne. Et quand un employeur lui dit Tahar, c’est juif, il ne contredit pas. Il n’imagine pas tout ce qui va suivre, jusqu’à devenir prisonnier de son mensonge. Mais tôt ou tard, celui-ci vous rattrape et votre vie explose. On l’a encore vu avec l’affaire Cahuzac. 
Vous mettez en scène un triangle amoureux. Etait-ce un vrai défi ? 
Je n’ai pas choisi le triangle pour le triangle. Quand j’écris, j’ai une intention, une ambition. Je trouvais intéressant qu’une femme devienne un enjeu de rivalité, car ce livre parle de la place sociale, de la compétitivité et donc de la rivalité à la fois dans la sphère sociale et privée. 
Les femmes sont peu reluisantes, manipulées, faibles… 
C’est le regard des hommes. Je voulais montrer qu’aujourd’hui encore, les femmes peuvent être soumises aux hommes. Nina est un jouet sexuel pour Samir, elle est totalement sous l’emprise de Samuel, la mère de Samir a été mariée de force, a eu un enfant de son patron qui ne l’a pas reconnu, elle a été un objet pour cet homme. Et la femme américaine de Samir est sous la domination de son père. C’était pour moi important de montrer que dans différents milieux sociaux, la femme n’était pas totalement libre et pas encore l’égale de l’homme.

L’invention de nos vies ; Karine Tuil ;  Grasset 504 pp., env. 20,90 €

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