L’envoûtante part de ciel de Claudie Gallay
Avec le poids des silences où se murmurent les conversations essentielles et les sentiments forts. Subtil et envoûtant, un livre à l’écriture simple.
- Publié le 07-10-2013 à 05h39
- Mis à jour le 07-10-2013 à 08h44
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Apre et sensible. Intimiste et quotidien. Sombre et lumineux. On ne peut qu’allier les contrastes pour parler du dernier roman de Claudie Gallay qui a l’art de raconter de ces belles longues histoires auxquelles on s’abandonne sans lâcher prise ni voir passer l’heure. Cette romancière que "Les déferlantes" avait largement consacrée en 2008 - une adaptation pour la télévision avec Sylvie Testud et Bruno Todeschini devrait voir le jour sur Arte à la fin de l’année - s’entend à privilégier des atmosphères où bat, à pulsions d’autant plus fortes que contenues, la vie de ses personnages. Forgés aux beautés mais aussi aux dures réalités de leur terre, ceux-ci sont lourds de souvenirs partagés et galvanisés par les rêves que chacun porte en lui.
A l’opposé du phare de La Hague à l’extrême pointe du Cotentin des Déferlantes, on est, cette fois, dans les montagnes des Alpes, entre neige, brouillard et soleil. Si le nom de Val-des-Seuls ne figure sur aucune carte géographique, il n’a sûrement pas été choisi par hasard. Tout le monde dans ce village est à la fois seul et au milieu des autres. Trois semaines avant Noël, Carole y débarque pour retrouver son frère, Philippe, et sa sœur Gaby, qui, contrairement à elle, n’ont jamais quitté les paysages de leur enfance éprouvée par le tragique incendie de la maison familiale. Conviés par leur père qui annonce sa venue mais qu’ils n’ont plus vu depuis la mort de la mère trois ans plus tôt, ils l’attendent en s’observant, retrouvant des souvenirs, grattant les secrets, posant des interrogations qui ravivent autant de blessures, se redécouvrant sous les rides.
Quittée par le père de ses filles en mal de liberté et cachée derrière sa traduction des textes de Christo l’emballeur de monuments, Carole, la narratrice, semble la plus torturée, se posant inlassablement la question du choix de la mère qui, incapable de sauver du feu ses trois enfants à la fois, a laissé en attente sa petite sœur qui en a gardé des poumons fragiles, un destin délabré et une philosophie personnelle : "La douleur, c’est la seule justice… Tout le monde a mal". Positif et pris par ses propres problèmes, le frère, garde forestier, s’accroche à sa passion de retrouver l’ancien itinéraire d’Hannibal pour en faire un chemin de randonnées. A chacun ses évasions.
Autour d’eux, évoluent des personnages forts et bien définis : le vieux Sam l’attachant gardien de la mémoire, Franckie le patron du bar-restaurant qui, avec quelques autres et contre les opposants, souhaite transformer le Val en piste de ski à la mode, Diego toujours à la recherche de la pièce manquante de son gigantesque puzzle, le beau Jean autrefois perdu sur un coup de hasard, la Baronne et ses chiens, la serveuse qui rallie tous les regards, le jeune Moïse qui, dans ses jeux avec la Môme, tente d’échapper aux vieilles brouilles familiales…
"Y a pas grand-chose qui change… mais y a des choses quand même", dira Gaby avec son sens des évidences. Il semble, en effet, ne rien se passer dans ce livre glissant entre passé, présent et futur. Des allées et venues, la routine des jours et des gestes, des regards, des ragots, des doutes. Et, pourtant, tout s’y passe de la vie, de la mort, de la solitude, des non-dits, de l’éternel conflit entre tradition et modernité, de peurs, de désirs et de l’amour… si sensuel quand il fait l’amour à l’âme. Claudie Gallay donne du temps au temps. Elle sait le prix de ces silences où s’improvisent les conversations essentielles et où se murmurent les vrais sentiments. Il faut lire son livre subtil et envoûtant, à l’écriture simple, où chacun, confronté aux autres, est ramené à lui, à ses questions - Qu’ai-je fait du passé ? C’est quoi le bout ? - et aux rêves qui lui ouvrent… sa part de ciel. Cet espoir qui aide à vivre. Magnifique.
Monique Verdussen
Une part de ciel Claudie Gallay Actes Sud 446 pp., env. 22 €