Jean Cocteau, pluriel et intime

Jean Touzot décrypte le poète aux mille facettes à travers son journal intime.

Franck Jacques

Cinquante ans après la mort de Jean Cocteau, le 11 octobre 1963, chercheurs et spécialistes n’ont pas encore pu prendre toute la mesure de la place que l’auteur des "Enfants terribles" a occupée dans le champ artistique et littéraire de son temps. Ce constat, le "Magazine littéraire" du mois d’octobre l’illustre par de nombreux exemples. Une activité protéiforme a relié Cocteau à Proust et Apollinaire, Picasso et Stravinski, Jean Genet et François Truffaut - et tant d’autres, parmi lesquels Edith Piaf. Et que de découvertes permettrait une étude systématique de son influence sur des étrangers : l’allemand Klaus Mann, le japonais Mishima, l’américain Tennessee Williams, l’espagnol Almodovar, entre autres.

Si d’innombrables archives demeurent inexploitées, la publication du journal intime que le poète a tenu de 1951 à la veille de sa mort touche à sa fin, avec le huitième et dernier tome du "Passé défini". Ces douze dernières années de sa vie ressemblent à un été indien. L’affection de son fils adoptif Edouard Dermit et l’amitié de la riche Mme Weisweiller lui assurent sécurité sentimentale et matérielle. Des films comme "La Belle et la Bête" et sa présidence du jury du Festival de Cannes l’ont rendu célèbre dans le grand public. Les honneurs se succèdent : Académie royale de Belgique, Académie française, doctorat honoris causa de l’université d’Oxford. Et son activité multiforme ne faiblit pas.

Paradoxalement, son "Journal" multiplie les indications d’un mal-être, dû le plus souvent à l’injustice d’être pris pour un génial touche-à-tout plutôt que reconnu comme un des plus grands poètes de son siècle. Il souffre aussi d’une solitude "monstrueuse", et de la médiocrité de son époque : la radio, "un robinet de conneries", Paris, "une poubelle", la France, "un funèbre merdier", le monde, "un gigantesque WC".

Des quatre mille pages d’un journal, que Cocteau voulait posthume, contrairement à André Gide ou Julien Green, pour pouvoir s’y exprimer "à cœur ouvert", Jean Touzot a extrait ce qui pouvait le mieux permettre de décrypter un "homme-labyrinthe". Ses parents, ses rencontres, ses amitiés, ses lectures, son travail, "une giclée de souvenirs"; et puis aussi sa conception du sexe et du beau, son regret de n’avoir pas eu d’enfants, son apolitisme mais non son désintérêt pour la politique, son esprit religieux (il croit à la résurrection des corps mais croyait aussi, dans les années cinquante, aux… soucoupes volantes !).

Jean Touzot n’escamote pas pour autant "les côtés irritants du personnage, son autocélébration incessante, sa revendication de poète maudit mais vivant dans le luxe et l’adulation, sa solitude de place publique". Ni sa partialité envers les écrivains qu’il n’aime pas ou qui lui font de l’ombre. Lui, si réputé pour sa gentillesse, peut se montrer féroce : André Gide, "une âme à touche-pipi", Paul Claudel, "faux génie", Ionesco, "le Strindberg des Galeries Lafayette", Jean Genet, "sa monstrueuse sottise". Il est toujours risqué d’interroger un grand artiste sur ses contemporains.

A l’occasion du 50 anniversaire de sa mort, paraît la première édition d’un livre que Cocteau a publié en Allemagne en 1953 : "Démarche d’un poète". Dans cet ensemble de réflexions sur la littérature, la peinture, le cinéma, etc., il n’évoque pas seulement son parcours et ses rencontres, mais s’interroge sur les forces inhérentes à la création et son étrange proximité avec le sexe. Une utile mise au point sur son esthétique.

"Paris" réunit quelques textes délicieux et brillants sur la ville où Cocteau vécut toute sa vie.

Enfin, Stock réédite le premier livre de dessins de Cocteau, paru en 1923 et jamais republié depuis. Plus d’une centaine d’illustrations ressuscitent les visage d’une époque dans sa vie quotidienne et ses figures de proue (Radiguet, Picasso, les Ballets russes…). Ils révèlent un extraordinaire croqueur de visages et d’attitudes. Une petite merveille.

Jacques Franck

Cocteau à cœur ouvert Jean Touzot Bartillat 208 pp., env. 20 €

Démarche d’un poète Jean Cocteau Grasset 144 pp., env. 10 €

Paris Cocteau Grasset 8O pp.,env. 6 €

Dessins Cocteau Stock env. 24 €

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