Réinventée par la fiction
L’écrivain new-yorkais Jerome Charyn imagine ce qu’aurait pu être la "vie secrète" d’Emily Dickinson. Un hommage rendu à "l’infini pouvoir de la littérature", inspiré par la légendaire poétesse américaine.
Publié le 14-10-2013 à 05h40 - Mis à jour le 14-10-2013 à 16h55
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Au firmament des poètes, Emily Dickinson luit d’un éclat lunaire. Discrète et complexe en diable, sa personnalité ne pouvait que tenter un romancier afin d’en resculpter les contours par l’imagination. Tentation à laquelle a cédé le septuagénaire écrivain new-yorkais Jerome Charyn dont les nombreux romans, généralement noirs, ont fait le tour du monde. Publié en 2010 aux States, "The Secret Life of Emily Dickinson" paraît aujourd’hui en langue française.
En préface à ce récit de fantaisie, le créateur du commissaire Isaac Sidel avoue avoir toujours été "hypnotisé" par la visionnaire dont l’écriture, selon lui, enfreignait toutes les règles : "Je ne me suis jamais vraiment remis de l’avoir lue". Charyn observe, dans cette note liminaire, que les mots d’Emily Dickinson "provoquaient leur propre réaction en chaîne, leur propre feu. Elle était capable d’abasourdir, de charmer et de tuer". Un roman où le scénariste des "Frères Adamov" (mis en page par Loustal) fait parler une femme dans laquelle il ne veut voir "ni une recluse ni une sainte" mais dont il souligne la "terrifiante diversité", suggérant qu’"elle pouvait être hargneuse, irritable, séduisante, mais se changer aussi en souris mélancolique et masochiste amoureuse d’un homme mystérieux qu’elle appelait Maître et à qui elle aurait tout sacrifié".
Puisse la lecture de cette fiction, intégralement narrée par la voix d’Emily, conduire surtout à celle de l’œuvre de l’Américaine dont la présentation et la traduction en français des "Poésies complètes" - en édition bilingue - furent magistralement assurées par Françoise Delphy dans un volume de 1472 pages paru chez Flammarion (cf. "Lire" du 9 novembre 2009) : un monument.
Sans doute, convient-il de rappeler qu’Emily Dickinson naquit le 10 décembre 1830 dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre, Amherst, où elle rendit l’âme le 15 mai 1886. D’elle, on ne connaît qu’un unique portrait, daguerréotype la représentant alors qu’Emily avait environ 17 ans. Cette admiratrice éperdue des œuvres des sœurs Brontë (mais davantage encore de George Eliot) passait pour un mythe : la rumeur veut qu’elle ne serait sortie de sa résidence familiale qu’une fois en quinze ans et s’habillait invariablement de blanc (ce que dément la photo ici reproduite), tel un lys. Ou un fantôme. De son vivant, ne parut d’Emily aucun livre. Et ne furent publiés que 6 de ses 1789 poèmes. Voix d’outre-tombe donc.
Francis Matthys
La vie secrète d’Emily Dickinson Jerome Charyn traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Chénetier Rivages 428 pp., env. 24,50 €