Nostalgie Song
Philippe Djian dans ses œuvres. Avec une "Love Song" sur un chanteur à la mode, dépassé par son époque et par la trahison des siens.
- Publié le 21-10-2013 à 05h40
- Mis à jour le 21-10-2013 à 17h43
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Si le nouveau roman de Philippe Djian s’intitule "Love Song", la chanson du livre n’a rien de joyeuse ou de douce. Le romancier prolifique, au look de vieux rockeur, le parolier de tant de belles chansons de son pote Stephan Eicher, l’écrivain au style très fluide, nous raconte plutôt une histoire glauque qui se déroule dans le monde de la musique et du show business.
Daniel a 50 ans et est devenu une star de la chanson. Quand il rencontre Brad Pitt (photo) dans un bar ou une fête, ils s’embrassent et causent ensemble, c’est tout dire. Il est riche, mais dépassé, en pleine crise.
Sa femme, Rachel, l’a quitté six mois plus tôt avec un de ses musiciens, "le plus nul", dit-il. Et son manager, George, tente de le persuader qu’il doit faire des chansons plus gaies, s’il veut retrouver un public qui commence à le snober et à le trouver ringard. Il n’est plus assez "mainstream". " Tes histoires ne se terminent jamais bien", lui dit-il au nom des grands chefs qui gouvernent le marché du disque et dressent les lignes du marketing. Daniel a beau répliquer qu’autant "demander à Scorsese de mettre moins de poudre dans ses films et à Lowry d’avoir le vin gai", il doit se soumettre aux diktats des marchés et faire "joyeux" alors que tout le déprime.
Pour compliquer encore les choses, Rachel revient. Elle a lâché son amant pour retrouver l’homme avec qui elle a partagé vingt ans de sa vie. Mais elle est enceinte de l’autre…
L’univers de Djian devient, peu à peu, plus déjanté, avec Amanda, la musicienne de 70 ans, droguée, qui se prostitue avec Daniel et d’autres pour survivre. Avec Walter, le frère de Rachel, l’ami de Daniel, qui fut victime d’un terrible accident causé par Rachel qui conduisait en téléphonant. Rachel y a eu les jambes broyées.
Dans ce monde, pour cette "Love Song", on est drogué, nymphomane, obsédé sexuel et toujours triste et traître. Daniel avait trompé Rachel qui le lui a bien rendu. George n’est pas très net. Et Walter devient comme une plante réclamant un service infini à Daniel.
Les héros de Djian creusent à leur manière le thème de la vie, de la traîtrise et de la culpabilité. Daniel parviendra-t-il à vivre à nouveau avec Rachel et à faire de son enfant à elle, le sien ? La "Love Song" a des accents de nonchalance rockeuse. Le récit peut prendre de brusques virages. On voit surgir des surprises et des totales invraisemblances comme des diables d’une boîte (on n’en dira rien).
Djian est très soucieux de son style qu’il veut "coller" à son époque. Mais cela peut donner de curieuses métaphores comme celle des macaronis : "Après l’accident, j’étais tombé à genoux devant ce corps meurtri, devant ces tendres boursouflures qui couraient jusqu’à l’intérieur de ses cuisses et glissaient sous mes lèvres comme des macaronis al dente". Ou cette phrase qui exige une belle discipline corporelle quand Daniel remercie ses amis, "qu’ils m’aient gardé les pieds sur terre au cours des années qui ont suivi, et m’aient gardé la tête hors de l’eau".
Djian distille ainsi sa petite musique, très contemporaine, facile à lire, et triste au fond, stylée mais insouciante, proche du monde et souvent totalement invraisemblable, sur un homme dépassé par son entourage et par le monde qui l’entoure.
Love Song Philippe Djian Gallimard 236 pp., env. 18,90 €