Sans horizon, une vie en est-elle une ?

Une ado à la dérive en Tanzanie : l’électrisant opus posthume de Jakob Ejersbo.

Geneviève Simon
Sans horizon, une vie en est-elle une ?
©REPORTERS /

Tanzanie, 1983. A seize ans, Samantha aime nager dans les eaux délicieuses et pêcher au harpon, elle qui espère (aussi) se trouver un amoureux. A l’internat, où ses parents l’ont parquée depuis longtemps, elle esquive tant bien que mal les blessures de l’adolescence. Ancien officier des forces spéciales britanniques, son père s’éloigne souvent pour de prétendus voyages d’affaires. En réalité, il est mercenaire. Mais l’Afrique est en train de changer : les guerres lucratives semblent appartenir au passé. Pas dupe de la vie que mène son mari mais trop faible pour revendiquer quoi que ce soit, sa mère se noie dans l’alcool. Entre un père absent, et d’une violence imprévisible quand il est de passage, et une mère démissionnaire, Samantha essaie de trouver quelque réconfort auprès de sa sœur Alison. Mais celle-ci est trop occupée à planifier sa vie et à trouver le bon mari (présent, aimable, professionnellement stable - soit le contraire de leur père), ce qu’elle semble en passe de réussir. En porte-à-faux avec ce qu’on attend d’elle, Samantha part à la dérive, frôlant les abymes lors de ses premières expériences de sexe, d’alcool, de drogue. Qu’y peut-elle ? Son avenir est sans perspective. Et plane la sombre menace d’un retour en Angleterre, pays qu’elle a quitté à l’âge de trois ans, qu’elle ne connaît pas, qui l’effraie.

Premier volet de la trilogie posthume, inspirée par son enfance, de l’écrivain danois Jakob Ejersbo (1968-2008), "Exil" électrise par son écriture galvanisée et lapidaire. Sur un rythme effréné, il dresse avec brio le portrait d’une adolescente et d’un continent gagnés par l’inéluctable. Autour de déracinés qui profitent sans scrupule des faiblesses et des trésors africains, Ejersbo dresse un tableau saisissant de l’opportunisme. Blanche à l’extérieur, grise à l’intérieur, assaillie de toutes parts, Samantha peut-elle éviter de se brûler les ailes ? Les éditions Galaade prévoient de publier "Révolution" et "Liberty" en 2014 et 2015.

Exil Jakob Ejersbo traduit du danois par Hélène Hervieu Galaade 422 pp., env. 23 €

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