Mitterrand: "La politique est une comédie amère"
Frédéric Mitterrand fut trois ans ministre de la Culture sous Nicolas Sarkozy. Il raconte dans un gros livre, au jour le jour, "cette comédie cruelle du pouvoir, cette addiction, et ce faux méchant qu’est Sarkozy". Une chronique littéraire sur les limites de la politique.
- Publié le 26-11-2013 à 05h39
- Mis à jour le 02-12-2013 à 12h47
Un Mitterrand à la Culture, et dans un gouvernement de droite ! Le choix de Sarkozy en juin 2009 fit du bruit. Frédéric, le neveu de l’ex-président socialiste, l’ancien animateur radio, le producteur à la télé, celui qui alors s’ennuyait à Rome à la tête de la Villa Médicis, devenait ministre à 62 ans. Il est resté trois ans, secoué juste par quelques affaires (Marine Le Pen l’accuse de tourisme sexuel auprès de jeunes garçons en Thaïlande, Olivier Py qu’il vire de l’Odéon,…). Quand Hollande arrive, il lui dit qu’il est prêt à rester ("un joke bien sûr, mais ma maman m’a dit que j’aurais dû insister") .
Redevenu libre, il écrit ce verbatim du pouvoir, au jour le jour, avec une belle plume, du panache, un peu de mauvaise foi. Le résultat est un très gros livre qui est un regard libre sur la politique autant que sur lui-même.
Quel courage d’écrire un si gros livre. Vous vouliez ainsi solder une expérience, retrouver une liberté de parole ?
Je n’ai commencé à l’écrire qu’après avoir quitté le poste. Et je me suis basé sur les centaines de fiches que j’avais gardées, celles qu’on me donnait chaque jour pour mes rendez-vous journaliers. Je voulais, effectivement, clore ainsi une expérience de trois ans en prenant de la hauteur et en revenant vers moi-même, je voulais recentrer cette expérience sur l’aventure individuelle. C’est vrai que la liberté de parole d’un ministre est limitée. Je vivais selon un mode schizophrène : il y avait le ministre qui faisait son travail et moi qui regardait le ministre et restait silencieux.
Ce passage en politique fut-il amusant ou cruel ?
Le titre le dit, ce fut une "Récréation". J’y suis allé gonflé d’espoir et d’enthousiasme et, en même temps, ce fut un temps de meurtrissures et de désillusion.
Si on revenait en arrière, accepteriez-vous encore ce poste ?
Bien sûr, quand on a 62 ans, qu’on a consacré toute sa vie à la culture, en affrontant beaucoup de difficultés, on ne peut pas refuser un tel poste.
La politique est-elle une comédie ou une tragédie ?
C’est une comédie amère. On le voit bien quand on n’y est pas. Quand on y est, c’est plus difficile et elle vous marque autrement. Mais ce n’est pas plus cruel que dans toutes les grandes entreprises et, bien sûr, l’univers de l’art n’est pas plus irénique. On dit que la musique adoucit les mœurs mais ce n’est pas vrai chez nombre de musiciens. J’ai vu que le monde de l’art est tout autant ravagé par la jalousie et les querelles intestines, aiguisées par la complicité avec des médias qui sont honnis par ce monde culturel mais pourtant indispensables et sans cesse sollicités par lui.
Qu’est-ce qui pousse à faire de la politique ? Le goût du pouvoir ?
J’ai été fasciné par l’extraordinaire énergie vitale qui habite les politiciens, c’est chez eux, une addiction violente. Le pouvoir ? En fait, le pouvoir d’un ministre est limité, mais son influence est considérable. A défaut de pouvoir changer les choses, il peut les influencer. Et puis, quand on est ministre, cela flatte le narcissisme. Les gens vous reconnaissent.
Ministre de la Culture est un poste agréable, mais les budgets sont figés. Tout est déjà décidé.
Le monde de la culture donne l’apparence d’être une famille, mais la comédie de la famille a vite volé en éclats. J’ai eu vite à faire face à l’affaire Polanski puis Marine Le Pen qui m’attaquait sur un passage de mon livre. Ce fut alors plus dur, mais aussi excitant. Les critiques des uns et des autres ne me font en général rien. Mais en culture, comme ailleurs sans doute, le plus pénible est bien l’exercice des limites du pouvoir. Ces forces molles (tout le monde vous dit toujours officiellement oui) qui sont difficiles à franchir (la frontière molle reste omniprésente). Quand on est ministre, il faut passer beaucoup de temps à persuader, bien plus qu’à commander.
Mais, répétons-le, votre marge de manœuvre était minime.
Pas nulle, il y avait la possibilité de faire de l’agit-prop. J’ai dû et pu convaincre Bercy (les Finances) de lancer le chantier de la Philharmonique, le bâtiment de Jean Nouvel à la Villette. Je connais ses difficultés actuelles mais quand il sera achevé, tout le monde les aura oubliées et on se réjouira de cette salle. En dehors de l’exercice du pouvoir, il y a l’incarnation du pouvoir, même fictif, qui joue. Les gens restent sensibles à ce que "le chef" dit. On peut agir à la marge. Je suis très fier d’avoir œuvré à sauver le Mucem, le musée des civilisations de Marseille, qui est un immense succès et qui n’aurait jamais pu se faire si je n’avais pas poussé ce dossier.
Votre modèle dans ce livre, est saint Simon ?
C’est un livre sur l’atmosphère dont j’ai soigné l’écriture et le style. Je revendique son aspect littéraire. Il n’aurait pas pu se passer chez les chauffeurs de taxis. Saint Simon, certes, mais qui l’a totalement lu ? Je me suis plutôt inspiré des "Choses vues" de Victor Hugo, qui fut à la fois dans la politique et en dehors. Quel destin ! Et cela vous étonnera, mais j’ai eu aussi comme viatique, comme inspirateur, le livre de Florence Aubenas "Quai de Ouistreham", où elle raconte son expérience de femme de ménage intérimaire. Mon livre se veut différent des livres de ces hommes politiques qui cherchent avant tout à se défendre. Je veux être plutôt du côté des livres de Balladur ou François Mitterrand.
Aujourd’hui, pourriez-vous encore résister face à la rumeur avec l’explosion des réseaux sociaux ?
L’information passe encore par la télévision, mais aussi par Internet, les réseaux sociaux. Des gens correspondent quasi instantanément avec 10 000 personnes. Mais si Marine Le Pen m’attaquait à nouveau, je résisterais de la même manière face à la cacophonie générale. Un bon soliste peut tenir.
Vous vous revendiquez homosexuel, pourtant c’est la droite, une partie de votre gouvernement, qui était contre le mariage pour tous.
La France homophobe cachait aussi une manifestation contre le gouvernement de gauche. Mais il est vrai aussi que le gouvernement actuel avait mal vendu sa loi, sauf Taubira qui fut brillante. L’UMP, hélas, instrumentalise le mouvement contre le mariage gay comme elle instrumentalise aussi honteusement la question de l’immigration. Ils sont très effrayants à droite, comme d’ailleurs à gauche aussi.
Sarkozy apparaissait comme un président sans culture, bling-bling. Comment avez-vous pu vous entendre avec lui ?
C’est vrai qu’il était, au départ, un exemple d’inculture, mais il avait toujours aussi un vrai respect pour le monde de la culture. C’est un homme très bien élevé, très poli, mais aussi très brutal, sans manières, formé par les émissions de variétés à la télé, mais aussi respectueux de la culture. Carla Bruni l’a aidé à rencontrer des gens dont il ne soupçonnait pas l’existence. Il est passé grâce à elle de Roland Garros et Neuilly à la galerie Kamel Mennour. Et comme il est très intelligent, il l’a bien fait. Il se met en colère, il houspille les gens, mais dans le fond, il n’est pas méchant et est sans rancune.
Faut-il garder un ministère de la Culture ? A quoi ça sert ?
Si ce ministère disparaissait, qui soutiendra encore la culture et les artistes ? On a bien montré le poids économique de la culture. Mais il y a plus : les artistes ont bien de la peine à se faire reconnaître. Il faut les entendre et les soutenir. J’ai été impressionné par certaines rencontres, comme celles avec Henri Loyrette, le directeur du Louvre, Brigitte Lefèvre, la directrice du Ballet de l’Opéra de Paris, Laurent Bayle, le directeur de la Philharmonie de Paris. Mais je le fus aussi par nombre de conservateurs territoriaux. Je ne me situe absolument pas dans la mode actuelle de dire qu’on serait sur le déclin. En culture, en tout cas, la France reste forte et Paris reste une fête permanente : tant d’expositions, tant de musées merveilleux. Quand je voyage en Italie, il n’y a pas ça, mais un passé si riche qu’il rendait Stendhal malade, un passé qui nous écrase.
Quels sont vos derniers coups de cœur culturels ?
Je sors très peu mais je lis beaucoup, je suis au jury du Médicis et j’ai poussé, j’en suis fier, l’excellent "La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement" de Svetlana Alexievitch, qui a reçu le Médicis de l’essai.
N’avoir pas reconduit Olivier Py à l’Odéon et l’avoir vite imposé à Avignon : une erreur ?
C’est Sarkozy qui m’y a poussé. Il voulait y placer Luc Bondy. C’est le seul cas où j’ai laissé faire, et je le regrette. Placer Luc Bondy n’était pas une mauvaise idée, mais virer Py fut une erreur. Il faut dire que Py y a mis du sien. Il était méprisant à mon égard, ne voulant pas parler avec moi, m’estimant illégitime. On ne se rend pas assez compte combien la France reste un pays de réseaux où les gens s’appuient sur leurs réseaux pour se pousser. J’y ai toujours résisté, sauf dans ce cas et ce fut plus grave pour moi que l’affaire Le Pen, car cette affaire m’a touché au cœur de la culture, au milieu de ceux dont j’avais la charge. J’avais réussi, il me semble, à comprendre le monde de la culture et à avoir de bonnes relations avec lui, mais cette affaire a tout bouleversé. En ce qui concerne Avignon, j’ai certes annoncé trop tôt le choix de Py pour Avignon, mais Vincent Baudriller et Hortense Archambault arrivaient de toute manière en fin de mandat.
Frédéric Mitterrand, "La Récréation", chez Robert Laffont, 726 pp. Environ : 24 €.