Père et mer, cruel et beau
"En mer", un magnifique et saisissant prix Médicis étranger de Toine Heijmans.
- Publié le 02-12-2013 à 05h38
- Mis à jour le 03-12-2013 à 07h50
:focal(454.5x234.5:464.5x224.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/A45HZS4ARRGH3AQWVOO36FQJ7E.jpg)
On se réjouit quand un prix littéraire révèle un auteur inconnu et un livre qui avait échappé aux radars de la critique. C’est le cas du très beau et dramatique roman "En mer" du Néerlandais Toine Heijmans. Un livre court et fort comme une tragédie grecque. Il évoque comment la beauté côtoie le drame et il met en scène un lieu et une situation où la mort jouxte l’extase.
La mer d’abord, ce miroir du ciel, apaisant mais traître, exil toujours possible à côté de nous, refuge où on soigne ses blessures mais où on se retrouve seul, face à soi et à la beauté du monde. Et d’autre part, la paternité, avoir un enfant qui grandit près de nous. Mais avec, toujours, la crainte que cet enfant dont on a la charge disparaisse accidentellement.
Donald a la quarantaine et n’est pas heureux. Un congé sabbatique de trois mois lui donne l’occasion de réaliser au moins un vieux rêve : partir seul en mer avec son voilier. Sa femme l’y pousse. "Mon voilier est devenu le centre du monde. Le reste s’est dissous dans un fin brouillard." A la fin de ce trimestre solitaire en mer, il a prévu d’embarquer sa fille Maria, sept ans, dans un port danois, et de l’emmener seule avec lui sur le bateau, pour retourner aux Pays-Bas. Deux jours de navigation, deux nuits seulement (certes, pour lui, sans dormir car la mer du Nord est une des plus traîtresses du monde). Cela doit pouvoir se faire sans souci malgré la fatigue accumulée.
Et quelle manière magnifique ce sera de sceller le lien père-fille, comme il y a un lien père-mer : "Je veux apprendre à Maria qu’on peut aussi vivre autrement. Qu’on n’a pas besoin d’être une marionnette si on ne le souhaite pas. D’être une poupée dont les autres tirent les fils au gré des situations, au gré de ce qui est acceptable ou comme il faut. Lui montrer qu’il y a un autre monde, avec d’autres règles".
Mais au milieu de la mer du Nord, l’orage se lève, grevé de nuages noirs. Donald baisse les voiles, se met à l’arrêt et découvre alors que la cabine où dormait sa fille est vide. Maria a disparu.
Tout le livre est alors ce cauchemar au milieu de la mer, entouré des balises, des phares, de la culpabilité, des vagues qui clapotent et de la houle qui soulève le voilier. Toutes les questions existentielles remontent à l’esprit au milieu de cette mer grise et verte, hallucinatoire, à quelques encablures seulement des plages où des enfants vont batifoler et construire des châteaux de sable.
En mer Toine Heijmans traduit du néerlandais par Danielle Losman Christian Bourgois 156 pp., env. 15 €