Le Dahlia noir, en pleine lumière
Matz et Hyman signent une adaptation en bande dessinée du roman culte de James Ellroy en tout point remarquable. Pari risqué, magistralement tenu, grâce à un scénario tendu et un dessin inspiré.
Publié le 12-12-2013 à 05h40 - Mis à jour le 13-12-2013 à 05h30
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L’Américain Miles Hyman a réalisé un travail d’orfèvre pour traduire en dessins l’atmosphère poisseuse du "Dahlia noir".
De quand date ce projet d’adapter "Le Dahlia noir" en bande dessinée ?
Matz et moi avons commencé à penser au "Dahlia" pendant qu’on terminait "Nuit de fureur" (adaptation en bande dessinée du roman de Jim Thompson, dans la même collection). C’est d’ailleurs notre travail sur "Nuit de fureur" qui a convaincu Ellroy de nous laisser adapter "Le Dahlia noir" alors qu’il n’était pas enthousiaste au départ. J’ai fourni un gros travail de documentation et j’ai beaucoup planché sur les personnages. C’est d’ailleurs l’une des choses à laquelle Ellroy était très attentif, comme au script de David Fincher et Matz. Il avait peu de choses à dire, si ce n’est qu’ils les trouvaient trop beaux. Ils évoluent au cours du récit
Vous-même, vous étiez familier du travail d’Ellroy ?
J’adore ! Je l’ai découvert quand j’habitais à Los Angeles (originaire du Vermont, Hyman vit aujourd’hui à Paris) avec "Ma part d’ombre" (récit autobiographique dans lequel Ellroy revient sur l’assassinat, jamais élucidé, de sa mère, NdlR). J’ai ensuite lu "Le Dahlia" alors que d’habitude les gens font le chemin inverse.
Le fait d’avoir habité Los Angeles vous a servi pour les ambiances, la lumièrer ?
Los Angeles a beaucoup changé depuis les années 30-40, mais c’est une ville très particulière. Là-bas, il n’y a pas de "là-bas". Ce qui est particulier, c’est qu’il faut dessiner le rien, c’est la lumière qui donne l’énergie, l’atmosphère de la ville. Mais ce L. A. n’existe plus, donc j’ai dû me documenter beaucoup. La ville est un personnage à part entière, qui passe du statut de ville frontière à celle de mégapole.
Vous vous partagez entre vos travaux d’illustration et la bande dessinée. Ici aussi, vous avez réalisé des illustrations pour introduire chaque chapitre, et aussi des pleines pages…
Je pense que j’ai réussi à passer un cap. Pour "Nuit de fureur", j’étais encore dans la peau d’un illustrateur. Pour "Le Dahlia", j’ai changé de technique. Nous avons fait un gros travail préparatoire sur le découpage, le rythme, afin d’assurer une lecture fluide. Il y a des pleines pages et de grandes cases d’illustration, mais rien n’est décoratif.
Le temps fort du récit est la découverte du cadavre de Betty Short. Comment avez-vous déterminé la façon de l’aborder ?
C’est une scène connue et très documentée en termes de photos. Il fallait reconstruire cette scène en faisant un clin d’œil à celle que tout le monde connaît. C’est un peu comme dessiner l’assassinat de Kennedy, il faut faire écho aux images que tout le monde a déjà vues, les intégrer, mais aller plus loin : la lumière froide et brutale de janvier, l’horreur absolue de la scène. Nous avons eu l’idée de faire un découpage avec un peu de recul. Elle est morte en deux temps, en fait : quand on la découvre et chez le médecin légiste. Le thème du livre et de la bande dessinée, c’est l’absence physique de Betty Short, alors qu’elle est extrêmement présente dans l’esprit de chacun. On la voit sur des films, des photos, des coupures de presse, des ressemblances... Elle est à la fois partout et nulle part.
"Le Dahlia noir", Hyman/Matz/Fincher, Ellroy/Rivages Casterman Noir/184 pp. en couleurs, env. 30€