Joies et revers de l’élévation
Trois récits pour trois altitudes, par un Julian Barnes inspiré et délicat.
Publié le 20-01-2014 à 05h38 - Mis à jour le 21-01-2014 à 07h53
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Man Booker Prize 2011 pour "Une fille, qui danse", Julian Barnes nous revient avec "Quand tout est déjà arrivé" ("Levels of Life") qui rassemble trois courts récits partageant une affinité de thématiques : l’impérieux désir de contempler la Terre vue d’en haut, l’amour (qui peut conduire à quelque élévation) et la mort (quand celle de l’être qui vous était le plus proche vous précipite dans une sombre réalité).
Dans "Le péché d’élévation", Barnes (Leicester, 1946) retrace diverses tentatives entreprises par l’homme pour voler. Dont celle de Félix Tournachon (1820-1910), plus connu sous le nom de Nadar en tant que photographe et portraitiste. Au milieu du XIXe siècle, l’aéronautique naissante est un appel à la liberté, l’élévation morale et spirituelle, non exemptes de prétention. C’est dans ce contexte que Nadar allait s’illustrer en prenant, le 23 octobre 1858, les premiers clichés aérostatiques.
C’est d’un autre aventurier du ciel, le colonel Fred Burnaby, dont il est question dans "A hauteur d’homme", et plus particulièrement de ses amours avec la comédienne Sarah Bernhardt - que Nadar (le père d’abord, le fils ensuite) photographia toute sa vie et qui participa, elle aussi, à un vol en montgolfière. "(…) pourquoi aspirons-nous constamment à l’amour ? Parce que l’amour est le point de rencontre entre la vérité et la magie. Vérité, comme en photographie; magie, comme en aéronautique." La belle refusera de l’épouser, le renvoyant à jamais à cette question venimeuse : a-t-elle jamais été sincère ?
Si l’amour peut donner un sentiment de foi et d’invincibilité, il n’est pas sans risque, "parce que chaque histoire d’amour est une histoire de chagrin potentielle". Dans "Rien à craindre" (2009), l’auteur du "Perroquet de Flaubert" abordait la mort à travers une réflexion nourrie d’érudition et de vécu. En tant qu’homme, Julian Barnes y avouait craindre la mort. En écrivain, il consentait devoir apprendre à plaider en sa faveur. Rien, en tout cas, ne l’a préparé au décès de Pat, son épouse depuis trente ans, emportée trente-sept jours seulement après qu’un diagnostic fut posé. Dans la lignée de Joyce Carol Oates ("J’ai réussi à rester en vie") ou Joan Didion ("L’année de la pensée magique"), Julian Barnes met en mots son désarroi, son chagrin, sa colère, sa douleur (qui est "preuve d’amour"), le deuil, le silence, la solitude de l’affligé.
De sa plume brillante et racée, Julian Barnes aborde avec une touchante vérité parfois teintée d’humour les (més)aventures humaines auxquelles l’amour donne une valeur inestimable. S’élever, chuter, n’est-ce pas vivre ?
Quand tout est déjà arrivé Julian Barnes traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin Mercure de France 128 pp., env. 15,50 €