Le "Poche" de la semaine: Lola Lafon, "La petite communiste qui ne souriait jamais"
Lola Lafon a écrit un magnifique roman sur le destin de Nadia Comaneci, qui atteignit la perfection aux JO de Montréal, en 1976. On reprocha à la gymnaste de ne pas être restée l’enfant parfaite.
- Publié le 20-01-2014 à 05h38
- Mis à jour le 29-05-2015 à 17h46
Chaque vendredi, La Libre sélectionne un livre paru en format "Poche" et vous en propose la critique.
Tous ceux qui l’ont vue, cette année-là, à la télé, s’en souviendront toute leur vie. Aux JO de Montréal en 1976, une petite fille de 14 ans, en justaucorps blanc, affolait les compteurs à la gymnastique. Nadia Comaneci, petite, maigre et belle comme un enfant-jouet, atteignait la perfection à la poutre et aux barres asymétriques. Même les écrans n’étaient pas préparés à ses cotes maximales de 10 et ne purent afficher qu’1,00. Avec sa frange de cheveux noirs et son grand nœud blanc, elle charmait le monde entier. Toutes les petites filles d’alors voulaient faire comme elle.
La suite fut plus complexe. Elle réussit encore à convaincre, à force d’efforts sur elle-même, mais elle dut affronter les critiques misogynes sur son corps devenu "trop rond, avec des formes de femme" , sur sa mission de porte-drapeau d’un régime ubuesque et dictatorial, sur sa liaison forcée avec le fils du Conducator Ceaucescu. Elle parvint à fuir aux Etats-Unis, une semaine avant la chute du régime, mais on ne lui pardonna jamais de ne plus être restée la petite fille de rêve des JO de 1976.
Lola Lafon s’est décidée à écrire ce roman magnifique quand elle lut qu’un quotidien français avait titré, lors des JO de Moscou, en 1980 : "La petite fille s’est muée en femme, verdict : la magie est tombée".
Lola Lafon a grandi entre la Roumanie et la Hongrie. Née en 1975, cette écrivaine et chanteuse est très engagée à gauche, dans la mouvance des indignés et des nouvelles féministes. L’histoire de Nadia Comaneci devait l’intéresser. Elle a mené l’enquête, interrogé les témoins, est revenue à Bucarest et à Onesti où l’enfant prodige était née et fut managée par Béla, l’autocrate entraîneur miracle.
Elle réussit un roman en équilibre, sur le fil, entre faits et rêverie, où Nadia elle-même intervient par des commentaires fictifs rétablissant sa vérité.
Lola Lafon restitue dans une langue splendide le chemin de croix d’une femme prise dans les tortures du sport, de la géopolitique, du star system et du machisme. Elle raconte les errements grotesques et mortels du culte de la personnalité pour Ceaucescu, mais en montrant que la désinformation est partout. Aujourd’hui, on trouve tout à Bucarest mais les gens n’ont plus d’argent et émigrent. Devenir sportive coûte maintenant cher. Si les petites gymnastes étaient comme martyrisées, l’Ouest s’est empressé d’adopter ces méthodes et de débaucher les entraîneurs de l’Est. Si la Securitate surveillait les moindres gestes de Nadia, les médias américains n’étaient pas en reste. Elle avait cru fuir pour trouver la liberté, mais quelle liberté lui a-t-on laissée ?
Bien sûr, elle fut ambiguë, manipulée par un régime dont elle a profité. Mais elle fut surtout victime de la propagande, puis des médias qui ont traqué sa vie sexuelle, sa propension à trop manger ou boire. Jamais on n’aurait fait cela avec un homme. Dans le roman, la "Maladie", ce sont les règles qui arrivent, et la malédiction d’être une femme sexuée et non plus une image.
Un roman splendide sur un destin complexe et bouleversant.
Lola Lafon, "La petite communiste qui ne souriait jamais", Babel n° 1319, 318 pp.